Un service d’aide alimentaire? Beaucoup plus que ça!

LETTRE OUVERTE. Ce jour-là, le temps était gris. J’apporte à l’organisme communautaire Ressources aide alimentaire quelques denrées. Le besoin est réel. Comme par enchantement, avant même que je n’aie sonné, la porte s’ouvre. Le coup de main est hautement apprécié.

J’entre. Quelqu’un offre des bras. Un autre me sourit. «Civilité d’une époque presque révolue», me dis-je. Enfin, une autre, me dit un bonjour senti. Manifestement, l’accueil ici, dépasse la simple intention. Ou son énoncé.

– Quelqu’un m’a ouvert la porte.

– Et puis ? Y’ a rien de plus normal!

– Pas nécessairement…

La réflexion suivante me traverse l’esprit: lorsqu’une porte s’ouvre, c’est signe qu’un coeur déjà ouvert a précédé le geste. Et cela finit par avoir raison du temps gris. À preuve: voilà que ma journée, soudain, s’ensoleille !

***

Dans un étroit passage, où la lumière est davantage dans les yeux des gens qui y circulent que dans l’espace réservé au va-et-vient, une brève conversation s’enclenche. J’apprends qu’ici, on peut non seulement obtenir des vivres, mais y guérir!

– Ah oui?

– Si! Je peux vous présenter quelqu’un, aujourd’hui même. En chair et en os!

Et comment en douter, lorsque cette dernière, «réchappée» de justesse, passe devant vous. S’arrête sur invitation, se sent suffisamment en confiance pour se raconter. Moyennant quelques pauses et un débit irrégulier. Rapatrier un trésor, ne se fait pas sans peine. Bien au contraire, la plupart du temps, c’est en peinant dur.

Elle: réchappée de justesse, des aléas de la vie. Extrême. Extrême en bouts de chandelles, que parfois même, on ne retrouve plus. Extrême en «non» retenus faute d’encouragements, et devenant trop vite aux yeux des autres, un dû.  Extrême en parcours longeant jour après jour un précipice, par définition, avide de drames humains.

Puis, est arrivé ce moment fatidique, où le corps a craqué. De haut en bas, jusqu’à perdre son nord. S’est fissuré, a fini par céder. Tel un barrage au printemps. Le corps avec ses mots: à la dérive de la vie qui semble déjà si loin derrière.

Heureusement non loin de là, quelqu’un à l’orée des rives – et connaissant par le cœur leur instabilité probable –, se promenait.

–  Je pourrais vous prendre à notre service, bénévolement, pour certaines tâches. Disons… une heure  par semaine. Pour commencer.

–  Ça me conviendrait parfaitement. C’est, de toute façon, le plus que je peux faire.  Pour l’instant.

L’empathie, chère à la responsable de l’organisme communautaire, lui permettait d’entendre la réponse, pourtant inaudible aux autres. Quant à la «réchappée de justesse» – dont les mots d’hier étaient demeurés coincés quelque part et tout effort, dûment affaibli par l’usure –, une fenêtre d’opportunités venait de s’ouvrir. Un miracle était en route.

– Une heure par semaine: c’est ce qu’on appelle «du sur mesure» !

– Et pourquoi pas ! C’est souvent le point de départ. Pour se relever.

– C’est comme avoir de l’aide au bout du fil. Un genre de 9-1-1. …C’est ça que vous appelez un miracle ?

En partie. Un miracle peut prendre la forme d’une opportunité qui se présente. D’autre part, un miracle, c’est un «oui» à déclarer, haut et fort. «Oui», à la vie. – Les miracles apprécient avoir de la compagnie! Ils ont l’esprit d’équipe!

Le miracle… comment on lui fait signe? Comment lui faire savoir qu’on  a besoin de lui?

– C’est simple : il s’agit de composer le numéro. D’abord.

– Ça semble logique. J’ai presqu’envie d’y croire…

– C’est ce qu’a fait notre «réchappée»: demander. Et, avant tout, vouloir survivre.

Survivre, revivre, vivre, ne peut avoir lieu sans désir. Même vacillant.

Offrir ce que l’on peut, du mieux que l’on peut. À coup d’une heure par semaine, s’il le faut. En échange, s’immerger dans un milieu sain, sans jugements réducteurs si rapidement portés sur l’autre. Bref, un milieu facilitant une réhabilitation. Physique, cognitive. Peut-être même avant tout, morale. Recevoir support et compassion «ça vous remonte un moral» ! Sans compter – et ce n’est pas rien – que cela ne crée pas de dépendances !

Être bien entouré/e. C’est alors le corps peut retrouver sa vitalité. Que les mots qui parfois déraillent – quittant ainsi abruptement leur voie habituelle, – ont de fortes chances de se désembourber, de se réaligner, de se remettent sur leurs rails.

– Et le coeur dans tout ça ?

Le cœur, de par sa nature profonde, est à l’affût d’un mieux-être. Le cœur est toujours en amont. Il sait fort bien détecter s’il est bien entouré ou pas. On peut s’y fier ! –  Longtemps avant tous nos appareils dits intelligents, le coeur l’était.

***

Une fois le don offert – somme toute, sans prétention –, une fois la rencontre «en chair et en os» ayant eu lieu, je suis repartie. Non sans avoir fait bombance: de gestes simples, voire courtois. D’attentions sincères, que les bien-pensants bien-pressés ont parfois tendance… à oublier.  De lumière possible, même dans un étroit passage. Et d’un témoignage, livré spontanément, dans le seul but – ô combien légitime – d’être entendu/e. Ce qui a pouvoir de guérison.

Je suis repartie. Plus légère qu’à mon arrivée. Avec le sentiment d’être «rechargée». Mais d’un bagage, cette fois-ci, libéré de la gravité.

 

Rosaymée B., Nicolet