La crise à l’Aluminerie de Bécancour: ça passe ou ça casse

LETTRE OUVERTE. Le lockout de l’Aluminerie de Bécancour « ABI » est à son point ultime.

Signe encourageant, syndicat et employeur se sont rencontrés à Pittsburgh et ils reprennent leurs échanges localement.  Les lockoutés d’ABI subiront-ils la froidure d’un autre hiver dehors ?  Le Syndicat des Métallos possède près de 700,000 membres en Amérique du Nord et Alcoa, qui détient 75% d’ABI, possède 60,000 salariés distribués dans 45 pays.  En principe, ils ont les moyens de régler ce lockout ou de le subir longtemps.  Mais l’usure du temps a vraisemblablement fait son œuvre après huit mois de lockout.  En outre, les cadres qui font marcher le tiers de l’usine montrent apparemment des signes de fatigue.  À priori, la situation ne peut être pérennisée ainsi.

Les pertes de ce lockout sont colossales. ABI perd plus de la moitié de ses profits et l’État du Québec plus de la moitié de ses ventes d’électricité à l’entreprise.  S’ajoutent les impôts non perçus sur les salaires des lockoutés.  Finalement, ces derniers perdent plus de la moitié de leurs revenus, leur allocation syndicale étant comptée.   En clair, tout le monde accuse un sérieux manque à gagner. Et comme nul d’entre eux ne pratique le masochisme, l’inconvénient de maintenir ce lockout est dans le contexte plus lourd que celui de relancer l’usine d’autant que le prix du l’aluminium sur le marché est bon.

Depuis le début du lockout en janvier 2018, outre une phase de médiation qui n’a pas produit de résultats probants, les parties syndicales et patronales ne sont pas allées au fond des choses.  Les travailleurs ont justifié leur refus de l’offre finale de novembre 2017 sur l’altération de leur régime de retraite et sur la valeur à octroyer à la compétence dans l’octroi des postes de travail.

Par ailleurs, les rares positions publiques de l’employeur portaient sur un enjeu plus large soit la nécessité de rendre l’usine plus compétitive face aux défis industriels futurs.  Concrètement, on doit comprendre, dans la perspective patronale, que cela postule une mutation du travail posté en travail continu si l’on regarde l’expérience de d’autres usines comme celle de l’aluminerie Alcoa de Baie-Comeau.  Implicitement, c’est introduire un modèle de production flexible, augmentant les droits de direction, afin d’éliminer des tâches ou en créer de nouvelles, de telle sorte à garder les travailleurs occupés tout le temps, d’où le principe de travail continu.

Une telle alternative fait pointer à l’horizon une intention de réduire la force active. En effet, Alcoa a déjà montré ses couleurs sur le sujet en dévoilant son projet de couper jusqu’à 20% des effectifs ou 200 postes.  Cela serait une mesure gargantuesque qui n’était pas constitutive de l’enjeu de novembre 2017.  En fait, l’employeur gonflerait ici ses exigences apparentes afin de réduire le régime d’attentes des travailleurs face à une éventuelle offre globale.

Cela étant, ce qui unit travailleurs et patrons est potentiellement plus important que ce qui les divise.  Au plan du solutionnaire, l’employeur pourrait demander au Tribunal administratif du travail de faire tenir un vote des lockoutés sur une offre patronale comme le prévoit l’article 58 du Code du travail.  Il ne l’a pas fait probablement parce qu’il croit qu’une telle initiative serait refusée par les travailleurs.

Le Gouvernement du Québec pourrait aussi confier un mandat d’arbitrage à Lucien Bouchard mais il ne le fait pas craignant peut-être la fermeture de l’entreprise.

Un lockout où toutes les parties en présence perdent autant d’argent et qui dure aussi longtemps est très rare dans l’histoire du Québec.

C’est donc le temps de relancer ABI vers des lendemains chantants !

 

Jean-Claude Bernatchez

Professeur titulaire en relations de travail à l’Université du Québec à Trois-Rivières