Sensei de père en fils

BÉCANCOUR.  Quand Gabriel Dubois était petit, il ne voulait pas devenir pompier ou policier, il voulait devenir… ceinture noire! De l’embrasure de la porte, Gabriel regardait son père, sensei Antoine Dubois, enseigner le karaté et reproduisait les mouvements à l’extérieur de la classe en attendant d’être assez grand pour joindre le groupe. Il était si petit qu’il n’existait pas de kimono à sa taille. Sa mère avait dû lui en confectionner un, juste pour lui. Aujourd’hui, sensei Antoine et sensei Gabriel enseignent le karaté ensemble dans leur propre dojo, à Bécancour : Karaté Kenpo Gentilly.

Antoine Dubois est originaire de Sainte-Françoise, et c’est d’ailleurs dans son village natal de quelque 400 âmes qu’il a commencé à enseigner le karaté, en 1988. Lorsqu’il a parlé de son projet pour la première fois au « Chief » du karaté Kenpo et directeur de toutes les écoles canadiennes de Kenpo, Jean-Guy Angell, ce dernier lui a affirmé qu’il n’aurait que trois ou quatre élèves. « J’ai répondu : alors j’aurai trois ou quatre élèves! », lance sensei Antoine. La première année, c’est donc contre toutes attentes qu’il a reçu 59 inscriptions. « Je ne savais plus où mettre mes élèves! », s’exclame-t-il. Un beau problème, car jusqu’au déménagement du dojo en 2011, il a pratiquement toujours eu plus d’une quarantaine d’élèves.

Lorsque sensei Antoine a commencé à enseigner, il n’avait toujours pas sa ceinture noire en main. Ce n’est qu’en 1990 qu’il l’a obtenue, après beaucoup de travail et une lettre touchante sur ses motivations qu’il a fait parvenir à Jean-Guy Angell dans le but d’accéder aux tests de ceinture noire.

Vers 2011, sensei Antoine a pris une pause d’enseignement. Il faut dire qu’il faisait des quarts de travail de 12 heures à son emploi principal et que pendant longtemps, il a été la seule ceinture noire de son école. « Je commençais à être fatigué de ça », révèle-t-il. Il était prêt à passer le flambeau à son fils Gabriel qui avait déjà commencé à donner quelques cours, tout comme ses deux sœurs également ceinture noire, Christelle et Jessie. Leur plus jeune frère, Alex, a arrêté après avoir obtenu sa ceinture brune.

C’est en 2012 que sensei Gabriel a commencé à enseigner à Gentilly en louant une salle avant d’avoir l’opportunité en 2015 d’acquérir la bâtisse qui abritait la salle de quilles. En fait, c’est demeuré un projet de famille, car il réunissait Antoine Dubois et deux de ses enfants, Gabriel et Christelle.

Le dojo de Karaté Kenpo Gentilly, avant de devenir ce qu’il est aujourd’hui, a dû subir une grande métamorphose à la suite de rénovations effectuées de A à Z par sensei Antoine. « On a travaillé fort, parce que c’était magané! C’était une salle de quilles, et défaire des allées de quilles, c’est quelque chose! », dit-il.

La force de la différence

Bien que sensei Antoine et sensei Gabriel adhèrent tous deux à la mentalité du Kenpo, les deux hommes ont un parcours de karatéka bien différent, et c’est en conjuguant leurs expériences et leurs idées respectives qu’ils arrivent à créer ce style qui leur correspond.

« J’ai toujours vu sensei Antoine comme un mentor. Parfois, j’amène des façons de travailler ou d’enseigner différentes, mais il y a toujours son expérience qui parle, précise sensei Gabriel. On va réussir à construire quelque chose en conséquence de nos deux idées. Même si on a parfois la tête dure, on est capable de voir le bon dans chacune des méthodes de l’autre! Je pense qu’on se complète bien et que c’est un bonus pour les élèves d’avoir deux senseis qui pensent un petit peu différemment sur certaines choses », estime sensei Gabriel.

Antoine Dubois a tout d’abord été initié aux arts martiaux avec non pas le karaté, mais avec le judo! Malgré que l’apprentissage de cette discipline lui était plus facile que celui du karaté, c’est cette dernière qu’il voulait enseigner. Ce n’est qu’à l’âge de 16 ans qu’il a commencé à pratiquer le karaté alors qu’il travaillait en Ontario. Après quelques déménagements, il est revenu dans la région et c’est alors qu’il a été initié au Kenpo en 1979 avec le sensei Pierre Laplante à Saint-Pierre-les-Becquets.

Pour Gabriel Dubois, l’initiation au karaté s’est faite au plus jeune âge alors qu’il observait son père donner ses cours dans le dojo adjacent à la maison familiale. « Du plus loin que je me souvienne, j’étais sur le bord de la porte pendant que mon père donnait les cours et je suivais les mouvements, encore trop petit pour embarquer dans un groupe, raconte sensei Gabriel. Quand tu me demandais ce que je voulais faire dans la vie, je disais que je voulais être ceinture noire. C’était clair, et je ne comprenais pas pourquoi le monde riait quand je disais ça! Je voulais faire du karaté et l’enseigner. »

Avant même d’atteindre l’âge que son père avait lorsqu’il a commencé le karaté, Gabriel Dubois décrochait sa ceinture noire. Il avait alors 15 ans. Lorsqu’il a quitté la maison pour le cégep, il a poursuivi le karaté Kenpo à Victoriaville et a ensuite joint l’équipe de compétition vers 2010.

« Pour apprendre le combat, il faut s’entrainer avec des meilleurs que soi. J’ai donc fait de la compétition pour essayer d’apprendre des mouvements à enseigner, explique sensei Antoine. Quand Gabriel est arrivé à Victoriaville, lui et son groupe allaient chercher des techniques sur internet et faisaient des cliniques à l’extérieur. Ils sont allés chercher le bagage que moi je ne pouvais pas leur donner. C’est un gros plus pour nous deux! », poursuit-il. « J’ai eu la chance de m’entrainer avec eux, et ce sont tous de très bons artistes martiaux, de très bons combattants », ajoute sensei Gabriel.

Une histoire de famille élargie

Sensei Antoine et sensei Gabriel sont fiers de leur travail et n’ont eu que de bons commentaires sur leur façon de faire et de penser. D’ailleurs, les deux karatékas accueillent leurs élèves comme des membres de la famille. Une opportunité qui ne se voit pas souvent, car la majorité des écoles ne possèdent pas leur propre dojo, ce qui rend ce que les deux hommes ont bâti encore plus exceptionnel. « Généralement, les écoles louent des salles où enseigner. Celles qui ont leur dojo comme ça se comptent sur les doigts d’une main », révèle sensei Gabriel.

« C’est leur maison, leur dojo, affirme sensei Gabriel. On est les propriétaires, mais il faut que les élèves se sentent chez eux. Les cours finissent, mais souvent ils continuent à pratiquer après, ils s’assoient et discutent un peu, et c’est important pour nous. Quand on voit ça, on sait qu’on a réussi à intégrer les personnes chez eux, dans leur dojo ».

Chez Karaté Kenpo Gentilly, l’apprentissage se fait au rythme de l’élève. Ce dernier ne sera pas convoqué à un test de ceinture s’il n’est pas rendu à ce niveau. « Notre but n’est pas d’amener des gens ici et qu’ils payent avec des tests de ceinture à des prix exorbitants chaque session. Ce n’est pas une machine automatisée », mentionne sensei Gabriel. D’ailleurs, ce dernier déplore que le karaté soit davantage exploité comme un sport qui génère de l’argent plutôt qu’un art martial.

« On ne l’a jamais fait pour vivre, on l’a toujours fait par passion », conclut sensei Gabriel.