Moins d’antipsychotiques à Nicolet

SANTÉ. Le Centre Christ-Roi de Nicolet tente de réduire la quantité de médicaments antipsychotiques que les résidents aux prises avec des symptômes comportementaux et psychologiques de la démence doivent consommer chaque jour.

Depuis le début du mois de janvier, l’établissement participe à un projet-pilote mené dans 24 CHSLD au Québec. C’est d’ailleurs Nicolet qui ouvrira le chemin pour les efforts qui seront ensuite menés ailleurs dans la région de la Mauricie et du Centre-du-Québec.

Il faut dire qu’en moyenne, au Québec, les patients prennent 14 médicaments différents chaque jour, selon une analyse menée par l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (APES). Or, au-delà de 10, il y a 100% des chances qu’il y ait des interactions entre eux.

La situation à Nicolet est un peu plus rose, mais il y a encore du travail à faire. Le pharmacien, Michael Arguin, indique que les patients consomment en moyenne 11 pilules quotidiennement. C’est pourquoi on souhaite procéder à la déprescription de celles qui sont inappropriées ou inefficaces.

On pense ici à une pilule pour le cholestérol qui sert à faire de la prévention à long terme, alors que l’espérance de vie est de 18 mois en CHSLD, ou encore à un médicament donnant des douleurs et entraînant la consommation d’autres pour les apaiser.

Le Centre Christ-Roi

Mais il y a pire, soit les antipsychotiques qui ont été prescrits à des patients sans qu’ils aient reçu de diagnostic de psychose. C’est ce à quoi s’attaquera spécifiquement le projet-pilote. Sur les 89 personnes qui résident sur les trois étages du CHSLD du Centre Christ-Roi, 40 prennent des antipsychotiques, soit un taux de 44,9%.

La moyenne provinciale se situe entre 40% et 60%. Même si on se situe dans le bas de cette moyenne, on est encore trop haut à Nicolet. «On devrait être autour de 25%, indique le pharmacien de l’établissement. Il y a des gens qui n’ont pas le choix d’en prendre parce qu’ils présentent un danger pour eux et pour les autres. Ils peuvent être schizophrènes ou bipolaires, par exemple.»

Après une première analyse, on estime à 21 le nombre de résidents éligibles à la déprescription au Centre Christ-Roi. Chez ceux-ci, il serait possible de baisser le nombre de médicaments ingurgités chaque jour ou, à tout le moins, en diminuer la dose.

Il faut dire qu’un trop grand usage d’antipsychotiques augmente les risques de chute et d’accident vasculaire cérébral (AVC). La somnolence, des tremblements au repos, de la pneumonie, la rigidité des muscles et l’insuffisance cardiaque sont également parmi les effets secondaires des antipsychotiques.

De plus, on sait maintenant que ces médicaments, qui hypothèquent la qualité de vie des résidents, sont peu efficaces pour soulager certains troubles du comportement liés à l’Alzheimer ou la démence, comme l’errance, les cris, l’agressivité physique et verbale ou l’écholalie, qui consiste à répéter des mots ou des sons.

Une nouvelle façon de faire pour briser le cercle vicieux

«Beaucoup de familles nous ont dit qu’elles sont stupéfaites des bénéfices»

L’idée du projet OPUS-AP (optimiser les pratiques, les usages, les soins et les services – antipsychotiques) est de trouver de nouvelles façons de faire pour éviter d’avoir recours à la médication: un vieux réflexe pour calmer certains troubles du comportement.

«Les antipsychotiques sont des béquilles mises en place pour aider la famille ou les résidences intermédiaires. Quand une personne est dérangeante pour les autres, le premier réflexe est de lui prescrire un médicament, parce que c’est problématique et qu’il n’y a pas suffisamment de personnel. Or, ici, il y en a jour et nuit», fait valoir le pharmacien Michael Arguin.

On souhaite aussi travailler davantage en collégialité qu’en «silo», comme c’était le cas auparavant. «Avant ça, il m’arrivait de dire au docteur qu’une personne pouvait baisser sa médication, ce qu’il faisait, raconte Michael Arguin. Mais si elle se mettait à avoir différents comportements, ce n’était pas long que le personnel de l’étage l’appelait pour la faire remonter.»

Pour arriver à réduire au minimum l’usage de médicaments auprès des personnes présentant des symptômes comportementaux et psychologiques de la démence (SDPC), on tente de changer leurs habitudes. Pour ce faire, le personnel sera maintenant appelé à collaborer avec une nouvelle approche.

Le projet a d’abord démarré au troisième étage du Centre Christ-Roi. Il se transportera par la suite au quatrième et au cinquième. Comme il s’agit de milieux de vie différents, le personnel de chaque unité doit d’abord être formé pour s’adapter aux différentes techniques.

Michael Arguin, pharmacien en établissement, et Évelyne Carley, thérapeute en réadaptation physique.

Pour calmer les cas de SDPC, les différents intervenants sont appelés à s’impliquer davantage auprès de la personne. Différentes techniques sont mises en place. Dans certains cas, un appareil de chauffe-couverture peut aider à rendormir la personne ou à rendre plus agréable la sortie du bain.

On peut aussi faire une diversion pour occuper la personne à autre chose, ou encore faire de l’écoute active pour donner l’impression à la personne qu’elle a raison ou qu’on la comprend, de façon à l’apaiser.

Quelques approches de base sont également mises de l’avant, comme de la récréothérapie ou encore de la musicothérapie. C’est pourquoi la famille est mise à contribution pour connaître les intérêts et les goûts musicaux des personnes. «De cette façon, on peut même aller chercher des choses dans la mémoire ancienne qui peuvent aider la personne», explique Michael Arguin.

«Ça demande du temps et il faut que le personnel s’implique, admet Évelyne Carley, thérapeute en réadaptation physique, qui fait valoir que le CHSLD de Nicolet a été choisi parce que cette mentalité était déjà en place.

«Il faut arriver à faire comprendre au personnel que les cinq minutes qu’on prend pour calmer une personne qui se serait levée douze fois, ça ne les retarde pas, mais ça leur permet de gagner du temps, continue-t-elle. C’est un changement de pratique. Il faut les convaincre que ça aura un effet.»

Évidemment, chaque cas est différent et certaines techniques fonctionneront sur un et pas sur l’autre. C’est pourquoi, chaque semaine, des observations sont faites et les cas sont réévalués en fonction de leur comportement. La baisse de la dose de médication se fait graduellement, au rythme du patient.

Déjà des impacts

Le projet OPUS-AP vise notamment à améliorer la qualité de vie des résidents. C’est déjà une réussite pour quelques-unes des six personnes qui ont entrepris la démarche. Parmi celles-ci, deux ont complètement arrêté les antipsychotiques et trois autres ont diminué leur dose de façon significative.

Déjà, on est en mesure de voir des impacts dans la vie de ces patients du troisième étage. Une dame s’est remise à parler, mais en Polonais, sa langue maternelle! Un monsieur a recommencé à manger tout seul. Un autre reprend plaisir à prendre son bain en jouant avec des boules lumineuses. Il y a aussi cette dame qui s’occupe avec quelques-unes de ses vieilles affaires réunies dans un tiroir.

«Beaucoup de familles nous ont dit qu’elles sont stupéfaites des bénéfices», souligne Évelyne Carley, qui est l’une des quinze personnes provenant de différents horizons qui composent le comité de travail multidisciplinaire mis en place à la fin de l’automne.

Au Québec, dans les 24 installations participantes au projet-pilote, on compte 1054 résidents. De ce nombre, 312 sont éligibles à la déprescription. Les établissements seront bientôt en mesure de comparer les résultats qui seront compilés après trois, six et neuf mois.

En janvier 2019, on compte implanter ce projet dans la moitié des centres hospitaliers en soins de longue durée au Québec. Le projet se poursuivra sur trois ans, pour être implanté dans tous les établissements d’ici 2021. En Mauricie et au Centre-du-Québec, les CHSLD devraient suivre la même tendance.