Un coroner déplore qu’on ne dénonce pas les chauffards qui prennent le volant saouls

MONTRÉAL — Un coroner se demande pourquoi les citoyens qui ont vu un homme saoul prendre le volant n’ont pas appelé les autorités avant qu’il ne soit impliqué dans un accident qui a coûté la vie à quatre membres d’une même famille, l’an dernier à Québec.

Le rapport du coroner Donald Nicole daté du 28 novembre conclut que plusieurs témoins avaient vu Éric Légaré passer tout l’après-midi à boire dans un bar, puis conduire par la suite de façon «téméraire et erratique», dans les minutes précédant la collision mortelle.

Or, une seule personne a pris la peine d’alerter la police ce jour-là.

Des preuves ont montré que M. Légaré roulait à au moins 130 km/h dans une zone de 70 km/h lorsqu’il a embouti un autre véhicule immobilisé à un feu rouge, sur l’autoroute Dufferin-Montmorency, dans l’arrondissement de Beauport, le 2 septembre 2021.

James Grant Fletcher, sa fille Shellie Fletcher et ses deux jeunes enfants de 10 et 14 ans, Emma Lemieux et Jackson Fortin, ont été tués.

Deux personnes dans un autre véhicule ont aussi été blessées en raison de l’accident.

En avril dernier, M. Légaré a été condamné à 16 ans de prison, après avoir plaidé coupable à plusieurs accusations, dont celle de conduite avec facultés affaiblies causant la mort et conduite dangereuse causant la mort.

Des analyses d’échantillons sanguins effectués après la collision ont montré que son alcoolémie était le double de la limite légale et que M. Légaré avait également des traces de cannabis dans le sang.

Daniel Fortin, le père de Jackson, s’est dit «surpris» qu’une seule personne ait contacté la police concernant M. Légaré.

«Je savais que les autorités ne recevaient pas beaucoup d’appels, mais j’ai été surpris de voir cette information dans le rapport, a-t-il déclaré dans une entrevue mercredi. Les gens ne veulent pas s’impliquer. J’ai l’impression que notre société d’aujourd’hui est très individualiste, et que personne ne se sent concerné.»

Des mesures peu dissuasives

Le coroner Nicole a discuté avec des intervenants qui travaillent à contrer la conduite avec les capacités affaiblies par l’alcool. Il a appris de ces discussions que peu de citoyens dénoncent les personnes qui s’apprêtent à prendre le volant ou qui conduisent un véhicule avec les facultés affaiblies.

Le coroner a aussi appris que «la gravité des peines et des conséquences avait peu d’effets dissuasifs pour les conducteurs qui avaient ou qui voulaient consommer de l’alcool». Il retient de ses discussions que c’est la peur d’être contrôlé par la police qui constitue le moyen dissuasif le plus efficace auprès de ces chauffards.

De plus, les données de Transport Québec montrent que les automobilistes respectent rarement la limite de vitesse à l’intersection où l’accident s’est produit. Selon le rapport, la vitesse excessive a représenté 32 % de tous les décès chez les automobilistes entre 2015 et 2019 au Québec, une situation que le coroner a qualifiée de «préoccupante».

«Depuis l’incident, Transports Québec mène des analyses pour améliorer la sécurité routière dans la région, en plus d’entamer des travaux pour installer un radar photo. C’est l’une des solutions possibles pour s’assurer que la limite de vitesse soit respectée», a-t-il écrit.

Le coroner Nicole a également encouragé les autorités à augmenter le nombre de contrôles de police tout au long de l’année et à dépister systématiquement les facultés affaiblies lors de ces interventions.

Pour Daniel Fortin, les recommandations issues dans le rapport sont positives. Il estime qu’une intervention policière accrue est nécessaire afin de dissuader toute conduite illégale.

«Au cours de mes 30 années de conduite, je n’ai traversé qu’un seul barrage routier, et ils ne m’ont même pas demandé d’échantillon d’haleine pour vérifier mon taux d’alcool. Nous n’avons pas assez de barrages routiers, c’est pour cela que les gens n’ont pas peur de se faire prendre», a précisé M. Fortin.

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Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière des bourses de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.