Le projet de loi anti-scabs au fédéral déposé; les syndicats applaudissent

MONTRÉAL — Le ministre fédéral du Travail, Seamus O’Regan, a déposé jeudi un projet de loi qui interdira le recours à des travailleurs de remplacement durant une grève ou un lock-out — un projet attendu depuis des décennies par les représentants des travailleurs.

Le projet couvrira également les employés qui font du télétravail.

Le projet de loi comporte un important volet sur le maintien possible de certaines activités dans l’entreprise, même durant une grève ou un lock-out, pour des raisons de santé et de sécurité, par exemple s’il y a un risque environnemental ou un risque de détérioration de l’équipement.

Ainsi, il prévoit que dès après l’émission de l’avis de négociation, les parties patronale et syndicale auront 15 jours pour s’entendre sur ce maintien de certaines activités dans l’entreprise, le cas échéant.

Si les parties ne parviennent pas à s’entendre, il appartiendra au Conseil canadien des relations industrielles de trancher. Il aura 90 jours pour ce faire. Entre-temps, une  grève ou un lock-out ne pourra être déclenché.

Le projet de loi, qui amende le Code canadien du travail, prévoit aussi la possibilité d’amendes pouvant aller à 100 000 $ par jour en cas de violation de l’interdiction.

En vigueur plus tard

Il n’entrera toutefois en vigueur que 18 mois après avoir reçu la sanction royale. 

En présentant son projet de loi au cours d’une conférence de presse à Ottawa, jeudi, aux côtés du député néo-démocrate Alexandre Boulerice, le ministre O’Regan a affirmé que ce sont les instances directement concernées par le projet de loi, comme le Conseil canadien des relations industrielles, qui lui ont demandé un tel délai dans son application. Celles-ci ont besoin de temps pour de la formation, a-t-il justifié.

Le projet de loi concerne les entreprises de juridiction fédérale, comme les institutions financières, les télécommunications, la radiodiffusion, le transport maritime, le transport aérien, le transport interprovincial et international.

La future loi fédérale ira donc plus loin que la loi québécoise, alors que le Québec avait été précurseur en la matière, en adoptant une telle loi dans les années 1970, pour calmer les tensions et la violence aux abords des piquets de grève.

Au Québec, la question de l’application des dispositions anti-scabs en cas de télétravail s’est retrouvée à quelques reprises devant les tribunaux et les décisions sont contradictoires. Et la question n’est pas encore réglée puisqu’elle est en appel.

Le premier ministre Justin Trudeau a présenté le projet de loi du gouvernement libéral comme «une bonne nouvelle pour les syndicats et les travailleurs canadiens». 

Pour que l’économie fonctionne rondement, il faut de bonnes relations de travail, a-t-il rappelé, et «pour protéger ce processus» de bonnes relations de travail, «il doit y avoir des compromis et une entente», a ajouté M. Trudeau.

NPD, Bloc et conservateurs

Le ministre O’Regan lui-même a remercié le NPD pour son appui.

Le député Alexandre Boulerice a évoqué «une journée historique» pour les travailleurs du pays. «L’importance de ce projet de loi, c’est de rétablir le rapport de forces à la table de négociations pour que les deux parties aient des incitatifs à trouver les meilleures solutions possibles le plus rapidement possible.»

Du côté du Bloc québécois, la députée Louise Chabot a loué la «grande avancée» pour «l’équilibre des forces, la paix industrielle».

Elle a souhaité que le gouvernement ne tarde pas à remettre son projet de loi à l’ordre du jour pour le faire adopter plutôt que de laisser traîner les choses en longueur. Elle sourcille devant le délai de 18 mois avant l’entrée en vigueur du projet de loi. «Ça mérite que ce soit fait avant», a-t-elle dit.

Dans le camp des conservateurs, Pierre-Hugues Boisvenu a carrément lancé: «ce n’est plus le Parti libéral qui gère le pays; c’est le NPD. Il faudrait poser la question à monsieur Trudeau pourquoi il a répondu encore à une demande du NPD». Selon lui, une loi similaire au Québec n’a pas changé grand-chose dans les relations de travail.

Syndicats heureux

Plusieurs syndicats ont applaudi au dépôt du projet de loi, après des années de promesses et de projets de loi présentés par des partis d’opposition qui n’avaient jamais abouti. 

La présidente nationale d’Unifor, Lana Payne, y a vu «un jour important et historique pour les travailleurs au Canada».

La présidente de la FTQ, Magali Picard, s’est dite «extrêmement heureuse» du dépôt tant attendu du projet de loi et a dit souhaiter que le Québec s’inspire maintenant de la loi fédérale.

Employeurs mécontents

Le son de cloche est tout autre du côté des employeurs. La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante y voit «une menace pour les PME et l’économie».

Le Conseil du patronat du Québec rejette du revers de la main le projet de loi. «Aucun fait ne justifiait une intervention gouvernementale à cet égard, sinon la faiblesse du gouvernement minoritaire face au NPD», a-t-il commenté.

La Chambre de commerce du Canada estime que le projet de loi déséquilibre le rapport de forces entre les parties au profit des travailleurs. «Le gouvernement affirme valoriser la négociation collective, mais son projet de loi contre les travailleurs de remplacement va exactement à l’opposé, en éliminant toute mesure incitative pour les syndicats à s’asseoir à la table des négociations», a-t-elle critiqué.