La PDG de CBC/Radio-Canada écarte l’idée d’un seul directeur pour les deux réseaux

OTTAWA — Face aux craintes que le plan de rapprochement de CBC avec Radio-Canada étudié par la haute direction se traduise par un effritement de l’indépendance du contenu francophone, la grande patronne de la société d’État a indiqué mardi soir qu’elle écarte l’idée qu’il y ait à terme un seul directeur des services français et anglais.

«Non, jamais», a répondu mardi Catherine Tait lors d’une brève mêlée de presse au terme de sa comparution devant le Comité permanent du patrimoine canadien où elle a été maintes fois appelé à faire la lumière sur le «plan de transformation» de la société d’État.

Quelques minutes plus tôt, lors de sa rencontre avec le comité, le porte-parole du Bloc québécois en matière de patrimoine, Martin Champoux, lui a expliqué qu’elle ne devrait pas s’attendre à ce que les Québécois soient rassurés alors que les conservateurs de Pierre Poilievre menacent de «définancer» le réseau anglais.

«Vous aviez expliqué que CBC/Radio-Canada partageait des infrastructures, des édifices, la technologie, des équipements, l’administration, les finances, a-t-il énuméré. Vous avez dit en fait que CBC/Radio-Canada c’est une seule entreprise sauf pour la programmation et les nouvelles. […] Vous allez vous rapprocher où si tout ce qu’il reste à rapprocher c’est la programmation et les nouvelles?»

Mme Tait a répondu en évoquant des équipements et des outils de production et de distribution. Mais elle maintient qu’elle «jure» que son équipe garde «au cœur de toutes nos réflexions» l’importance de Radio-Canada pour le fait français et qu’il n’est pas question de toucher à l’indépendance éditoriale, «un principe fondamental de nos services».

«Oui… un principe», a répété M. Champoux au même moment. L’élu a plus tard expliqué en entrevue avec La Presse Canadienne être «très, très inquiet», si bien qu’il croit que «c’est sûr» que l’indépendance, l’influence et l’identité de Radio-Canada seront «écorchées là-dedans».

En outre, l’élu a soutenu que la «proposition» du Bloc de séparer CBC de Radio-Canada en deux sociétés d’État distinctes ne doit pas être interprétée comme un appui aux conservateurs, qui eux se réjouissent en constatant que cela simplifierait leur projet de «définancement». Il s’agit plutôt d’un mécanisme de protection, selon lui.

Lors de son témoignage, Mme Tait a également affirmé catégoriquement qu’une fusion des contenus de CBC et de Radio-Canada n’est pas sur la table, mais qu’elle vise plutôt à «harmoniser» les services.

«Pour moi, fusionner c’est une mutualisation de nos services. Harmoniser, c’est de travailler ensemble, trouver des solutions ensemble», a-t-elle plus tard clarifié auprès des journalistes. 

Le député conservateur de Lévis—Lotbinière, Jacques Gourde, lui a demandé si elle est en train de se servir de Radio-Canada comme d’une «bouée de sauvetage pour sauver CBC» qui, selon lui, «vit son dernier souffle». Mme Tait a alors vanté des succès du réseau anglais sans répondre directement à la question.

À l’inverse, la présidente-directrice générale (PDG) a indiqué que le plan de rapprochement est étudié de sa propre initiative et que ni elle ni son conseil d’administration n’ont subi de pressions politiques pour prendre ce chemin.

Évoquant son attachement au diffuseur public, le libéral Marc Serré, qui la questionnait, a raconté que son père, lorsqu’il siégeait à Ottawa, en 1971, avait apporté une pétition de Sudbury avec 21 000 signatures réclamant d’avoir une station de Radio-Canada dans le nord de l’Ontario.

Mme Tait lui a dit qu’il serait «très difficile, presque impossible» de conserver un Radio-Canada fort là où le français est minoritaire si les conservateurs coupent entièrement le budget de CBC.

«Ils [les conservateurs] parlent d’un milliard, a-t-elle noté. C’est plus de la moitié de notre budget. Si on coupe, ça va être un désastre pour les médias francophones à l’extérieur du Québec, ça, c’est sûr.»

Appelé à réagir à cette déclaration, le conservateur Jacques Gourde a jugé que «rien n’est lié à l’impossible dans ce monde». Le mandat de Mme Tait arrive à échéance dans quelques mois et son remplaçant «va peut-être trouver des solutions pour rendre ça possible», a-t-il déclaré.

Les primes

Durant son témoignage, qui s’est échelonné sur plus de deux heures, Catherine Tait a fait face à une avalanche de questions de députés conservateurs anglophones quant aux primes versées aux cadres et aux dirigeants.

Le radiodiffuseur avait mis la table aux échanges en rendant publique une lettre qu’il avait envoyée en mars à la présidente du comité du patrimoine où il accuse des députés conservateurs du comité de diffuser délibérément des faussetés à l’égard de la société d’État et de Mme Tait.

Cette lettre a été remise aux médias par un de ses accompagnateurs avant la réunion. Les députés Kevin Waugh et Rachael Thomas y sont dénoncés pour leurs «accusations mensongères». Tous deux avaient accusé Mme Tait d’avoir menti et induit le comité en erreur au sujet des primes lors d’une réunion précédente.

La PDG a rejeté ces allégations aujourd’hui lors d’un échange avec Mme Thomas à propos du moment où une décision a été ou sera prise quant aux primes que recevront ou non les dirigeants cette année.

«Soit vous avez menti le 30 janvier, soit vous mentez maintenant», a dit la porte-parole conservatrice en matière de patrimoine canadien.

Mme Tait avait précédemment déclaré au comité qu’une décision sur les primes serait prise à partir de mars, soit à la fin de l’exercice financier. Mais lors de la réunion de mardi, Mme Thomas s’est offusquée que la grande patronne n’ait eu aucune mise à jour.

«Je m’oppose vraiment à ce qu’on me traite de menteuse, ce qui s’est produit à plusieurs reprises», a déclaré la PDG en s’adressant à Mme Thomas. C’est la première fois en 40 ans de carrière que quelqu’un s’adresse à moi de cette façon.»

Mme Tait a déclaré qu’aucune décision concernant les primes n’a encore été prise pour l’exercice 2023-2024, mais que la question sera discutée à la mi-juin avec le conseil d’administration. Elle a insisté qu’il s’agit néanmoins d’une rémunération au rendement qui fait partie de la rémunération totale globale de certains employés en vertu des contrats existants.

En décembre, CBC/Radio-Canada a annoncé qu’elle s’apprêtait à supprimer 600 postes et qu’elle abolirait 200 autres postes qui sont vacants, ainsi que des compressions de 40 millions $ dans les productions afin de combler un déficit projeté de 125 millions $.

Mais les nouvelles recettes projetées, y compris l’ajout de 42 millions $ annoncés dans le budget fédéral, permettront de traverser l’année sans de nouveaux licenciements, a mentionné Mme Tait.

Au total, le diffuseur public a supprimé 205 postes vacants et licencié 141 employés depuis décembre.

– Avec des informations de Mickey Djuric, à Ottawa