La Cour rejette la demande d’injonction pour déplacer le campement à McGill

MONTRÉAL — La Cour supérieure du Québec a rejeté mercredi une demande d’injonction pour déplacer le campement érigé depuis samedi dernier par des militants propalestiniens sur le campus de l’Université McGill, à Montréal.

Deux étudiants de l’université avaient demandé à la Cour supérieure d’ordonner aux manifestants de s’éloigner d’au moins 100 mètres des bâtiments de McGill, affirmant que leur présence avait créé un environnement hostile et menaçant pour leur sécurité physique.

La juge Chantal Masse a statué mercredi que les demandeurs n’avaient pas démontré que leur accès à l’établissement était bloqué ou qu’ils ne pourraient pas passer leurs examens de fin d’année.

La juge Masse estime que même si certains slogans et déclarations attribués aux manifestants sont «troublants», rien n’indique qu’ils constituent des menaces directes envers les étudiants. 

Dans leur demande d’injonction, datée de lundi, les étudiants avaient présenté des preuves de slogans tels que «Intifada», «De la mer au fleuve, la Palestine vivra éternellement» et «Tous les sionistes sont des terroristes», scandés ou imprimés sur des banderoles, comme exemples de l’atmosphère «hostile, agressive et violente» créée par les manifestants sur le campus de McGill.

La juge Masse note toutefois que différents groupes ont des interprétations différentes de la signification de ces slogans. 

La juge estime donc qu’il n’y a pas eu une démonstration suffisante de l’urgence de prononcer une injonction à ce stade-ci.

«Le Tribunal est d’avis que la balance des inconvénients penche du côté des manifestants dont la liberté d’expression et de réunion pacifique serait atteinte de façon importante alors que les préjudices mis en preuve par les demandeurs faute d’obtenir une telle ordonnance sont plutôt limités, relevant davantage de craintes subjectives et d’inconforts que de craintes précises et sérieuses pour leur sécurité», écrit la juge Masse.

«Il vaut la peine en terminant de rappeler à tous que, si les circonstances n’évoluaient pas dans le bon sens ou se détérioraient, il demeure possible à l’Université McGill et aux demandeurs de s’adresser aux tribunaux.»

Occupation illégale

Plusieurs dizaines de tentes ont été érigées sur le campus depuis samedi, à la suite d’une vague de manifestations similaires sur les campus américains liées à la guerre entre Israël et le Hamas. Ailleurs au Canada, des manifestants propalestiniens ont également installé des campements sur les campus de l’Université de la Colombie-Britannique, de l’Université Victoria et de l’Université d’Ottawa. Et mercredi, un groupe de manifestants a commencé à installer des tentes devant un bâtiment de l’Université Western, à London, en Ontario, a indiqué l’établissement dans un communiqué.

La juge Masse estime que même si les manifestants occupent illégalement des terrains où ils ont planté leurs tentes, «il est pour l’instant prématuré de conclure que la situation ne se résoudra pas adéquatement et de façon non violente avec une intervention policière progressive» — ce qu’une ordonnance du Tribunal ne favoriserait pas nécessairement, selon elle.

Elle souligne aussi au passage que l’Université McGill «n’a pris position ni pour ni contre l’octroi de la demande en injonction provisoire» des étudiants demandeurs, qui l’ont déploré. 

Dans une déclaration écrite, McGill souligne que si elle n’avait pas demandé l’injonction, elle a été désignée comme «partie intéressée» dans ce dossier. Elle se dit toutefois «encouragée» par la conclusion de la juge Masse selon laquelle les manifestants «occupent illégalement les lieux en y campant». 

McGill rappelle aussi que la juge Masse reconnaît que l’université, «contrairement aux prétentions des demandeurs, a été proactive, a appliqué le processus qu’elle a prévu, a tenté de négocier une entente pour un démantèlement progressif avec le respect de certaines conditions, donné des avertissements faute d’entente et, enfin, fait appel aux policiers en dernier recours, afin de mettre fin à cette situation».

«Demande non négociable»

Dans un message à la communauté de McGill, publié mercredi après-midi, le recteur et vice-chancelier, Deep Saini, déclare que l’université communique «de nouveau» avec les avocats représentant les membres du campement dans le but de relancer les négociations. 

Il souligne que bon nombre des manifestants n’ont aucun lien avec McGill. «C’est une situation inacceptable à laquelle nous ne saurions consentir, écrit M. Saini. Par conséquent, le campement doit être démantelé sans délai, et c’est là une demande non négociable.» 

Si les manifestants issus de la communauté de McGill «quittent les lieux immédiatement et pour de bon», le recteur s’engage à les convier «à un forum pour discuter de leurs diverses demandes, et des opinions divergentes, de manière pacifique, respectueuse et civilisée».  

«Aujourd’hui, nous ne discuterons qu’avec les membres de la communauté mcgilloise. Les personnes qui n’en font pas partie doivent, je le répète, quitter immédiatement le campus de l’Université McGill», conclut le recteur Saini. 

Interpellée sur le sujet, la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, est encore une fois restée très brève dans ses commentaires. «Je pense qu’il faut faire la différence avec l’injonction qui a été demandée par deux étudiants et la position de McGill. Je pense que la position de McGill ne change pas. C’est-à-dire que ce campement là, selon les politiques internes de l’établissement, n’est pas autorisé», a-t-elle dit. Mardi, la ministre a dit que le campement était «illégal». Elle a évité de réutiliser ce qualificatif mercredi.

«Il faut choisir ses mots»

La juge Masse appelle toutefois les manifestants à «choisir leurs mots» pour éviter tout ce qui pourrait être perçu comme des propos antisémites ou des appels à la violence.

«Après une certaine hésitation, et au risque de faire preuve d’une grande naïveté, le Tribunal lancera toutefois une invitation aux défendeurs et manifestants. Une invitation à mieux choisir leurs mots sans renoncer à leur message antiguerre. Une invitation dans le sens d’un apaisement et sans admission», plaide la juge Masse.

Les dirigeants de McGill avaient demandé mardi l’assistance de la police, estimant avoir échoué à persuader les manifestants de mettre fin à ce qu’elle a qualifié d’action illégale.

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a visité le site et a déclaré qu’il évaluait les «différentes avenues». En réaction à la décision de la juge Masse, le SPVM a indiqué qu’il continuait d’étudier les différentes options «en préconisant un dénouement pacifique».

Les manifestants ont déclaré qu’ils n’avaient pas l’intention de démonter leurs tentes jusqu’à ce que McGill, ainsi que l’Université Concordia voisine, coupent leurs liens financiers avec des entreprises qui, selon les manifestants, «profitent du génocide». Ils souhaitent également que l’université coupe tous liens avec certaines institutions israéliennes.

Pearl Eliadis, avocate spécialisée dans les droits de la personne et professeure agrégée à McGill, n’était pas surprise que la juge ait rejeté la demande d’injonction. 

Cette décision reflète selon elle «qu’il n’y a eu aucune preuve d’une quelconque activité de la part des manifestants qui laisserait penser que les événements n’étaient pas pacifiques», comme des menaces, des violences ou le blocage de l’accès aux bâtiments. Et ce point de vue semble être partagé par le SPVM, qui n’a pas vu jusqu’ici la nécessité d’intervenir, a-t-elle ajouté.