En 2023, un cinquième de l’aide canadienne déclarée à l’OCDE est allé à ses réfugiés

OTTAWA — Bien que le Canada soit l’un des principaux contributeurs d’aide étrangère, et ce, parmi certains des pays les plus riches du monde, un cinquième de ces dépenses ne quittent jamais les frontières du Canada.

Environ 19 % de l’aide canadienne déclarée à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) l’année dernière a bénéficié à des réfugiés et à des Ukrainiens vivant au Canada.

«La plupart des Canadiens ne penseraient pas que ça compte, car quand on pense à l’aide étrangère, on pense à quelque chose qui se passe dans d’autres pays, et non aux dépenses qu’on fait ici», a fait remarquer Elise Legault, directrice Canada de One Campaign, un groupe de lutte à l’extrême pauvreté.

Le mois dernier, l’OCDE a publié son analyse des dépenses d’aide en 2023. Selon l’organisation, le Canada se classe au septième rang pour les dollars dépensés dans l’Aide publique au développement, un classement composé principalement de pays riches.

L’analyse montre que le Canada a dépensé un peu plus de 8 milliards $ en aide publique au développement l’année dernière, dont 1,5 milliard $ a été consacré à soutenir les réfugiés, les Ukrainiens qui ont fui l’invasion russe et les demandeurs d’asile lors de leur première année au Canada.

Le classement comprend les dépenses provinciales et fédérales dans ce domaine, et inclut les Ukrainiens venus au Canada avec un visa d’urgence pour attendre la fin de la guerre, mais qui ne sont pas techniquement des réfugiés.

Le Canada comparé à d’autres pays

Ces dépenses représentent 19 % de l’aide étrangère du Canada, comparativement à une moyenne de 13,8 % parmi les autres pays de l’OCDE.

Les États-Unis dépensent 9,7 % de leur budget d’aide à l’intérieur de leurs propres frontières, tandis que le Royaume-Uni en dépense 28 % au niveau national.

Contrairement à d’autres pays, Elise Legault affirme donc que les dépenses liées aux réfugiés ne grugent pas le budget de base de l’aide étrangère du Canada.

«Jusqu’à présent, ils n’ont pas déshabillé Pierre pour habiller Paul», a-t-elle imagé.

«D’autres pays comme le Royaume-Uni et la Suède ont puisé dans leurs budgets d’aide étrangère pour couvrir le coût de l’arrivée des réfugiés dans le pays, et heureusement, le Canada a évité cette voie.»

La forte proportion d’argent dépensée pour les réfugiés provient en partie de programmes de réinstallation, tels que l’engagement d’Ottawa d’amener 40 000 Afghans au Canada, ainsi que de soins de santé et d’hébergement temporaire pour les personnes qui demandent l’asile au Canada.

Quant à la part dépensée à l’étranger, des fonds importants ont été destinés à répondre au conflit au Soudan et à la faim en Haïti, et 21,4 % sont allés à l’Ukraine, notamment sous forme de prêts.

Démêler l’aide internationale

Mme Legault explique que depuis des années, nombreux sont ceux qui réclament que l’aide étrangère et celle des réfugiés soient déclarées séparément, malgré la pratique de longue date consistant à les combiner.

La professeure de l’Université d’Ottawa Christina Clark-Kazak, spécialisée dans les politiques de migration et de développement, a soutenu que les combiner était logique, dans une certaine mesure.

«Que nous aidions un réfugié dans un camp de réfugiés ou que nous l’aidions au Canada, c’est toujours de l’argent qui est dépensé pour les non-Canadiens, a-t-elle déclaré. C’est pourquoi c’est calculé de cette façon.»

Celle-ci rappelle que ces dépenses reflètent un monde particulièrement instable, alors qu’un nombre historique de personnes dans le monde ont été contraintes de fuir leur foyer en raison de conflits armés et de catastrophes naturelles liées au changement climatique.

Les deux expertes en aide humanitaire ont soutenu qu’Ottawa devrait être plus franc avec les Canadiens, notamment sur la manière dont il effectue ses dépenses en aide internationale et où les sommes aboutissent. En ce moment, les expertes soutiennent que les dépenses sont déclarées sous plusieurs formats et la terminologie n’est pas cohérente.

Le budget de ce printemps ne comprend pas de chiffres consolidés sur le montant qu’Ottawa prévoit consacrer à l’aide étrangère. Le ministre du Développement international, Ahmed Hussen, et son équipe n’ont pas non plus fourni d’indications précises après le dépôt du budget.

Il est donc difficile pour les analystes de déterminer si le Canada donne réellement suite aux engagements pris sur la scène mondiale, a indiqué Mme Legault. «La transparence est vraiment importante de la part du gouvernement, surtout dans un domaine comme l’aide étrangère», a-t-elle déclaré.

«Les Canadiens ont le droit de savoir combien (les responsables) prévoient dépenser, combien ils ont dépensé et pour quelle raison.»

Réduction de l’aide internationale

Le secteur humanitaire s’est indigné de la réduction de 15 % de l’enveloppe de l’aide internationale dépensée à l’extérieur du Canada dans le budget 2023, malgré l’engagement des libéraux d’augmenter le financement de l’aide chaque année.

Le gouvernement a fait valoir qu’il était simplement revenu aux niveaux de dépenses qui ont précédé une augmentation historique pendant la pandémie de COVID-19 et l’invasion russe de l’Ukraine.

Même si le Canada est le septième plus grand donateur parmi les pays de l’OCDE en ce qui concerne le montant brut dépensé l’année dernière, il se situe bien en dessous de la dixième place lorsque les sommes sont comparées à la taille relative de l’économie canadienne.

Pourtant, il s’agit du montant le plus élevé que le Canada a dépensé en aide étrangère en proportion de son produit intérieur brut depuis 1995, a indiqué Elise Legault.

Il faut reconnaître au gouvernement que le Canada a réagi aux nombreuses crises qui ont éclaté au cours des dernières années, a-t-elle concédé.

Elle ajoute cependant que les gouvernements sont mieux préparés à répondre aux urgences et semblent moins enclins à investir dans des projets de développement proactifs destinés à rendre les pays plus résilients.

L’ancien premier ministre canadien Lester Pearson, au pouvoir de 1963 à 1968, avait fixé pour objectif aux pays riches de consacrer 0,7 % de leur produit intérieur brut à l’aide étrangère. Le Canada n’a atteint que 0,38 % l’année dernière.

Le bureau du ministre du Développement international Ahmed Hussen a souligné que les libéraux avaient augmenté le financement destiné à lutter contre le changement climatique et à autonomiser les femmes et les filles.

«Sous notre gouvernement, l’enveloppe d’aide au développement international du Canada atteint un niveau record, dépassant les niveaux de tous les gouvernements précédents», a écrit la porte-parole Olivia Batten.

Elle ajoute que le financement canadien vise à «autonomiser les femmes et les filles, à lutter contre le changement climatique au niveau local et à investir dans les économies en développement tout en réduisant la pauvreté mondiale».

Christina Clark-Kazak a déclaré qu’il est important de ne pas considérer l’aide étrangère comme un «jeu à somme nulle», dans lequel les dollars circulent à l’étranger au lieu d’aider les Canadiens.

Elle a fait valoir que le financement destiné aux réfugiés au Canada les aide à devenir des membres productifs de la société en cas de pénurie de main-d’œuvre, à payer des impôts et à soutenir l’économie.