La dernière coupe de Jocelyn Bergeron

SAINT-LÉONARD-D’ASTON. C’est un chapitre de l’histoire de Saint-Léonard-d’Aston qui vient de se terminer. Après 50 ans de métier, Jocelyn Bergeron tend son clipper de barbier à la relève.

Rencontré peu après avoir cédé son bail à Kiara Cerbo, assis sur la chaise où il a «viraillé» pendant un demi-siècle à discuter et à couper les cheveux à ses milliers de clients, l’homme au sourire habituellement éternel prend une pause. Les larmes lui montent aux yeux.

«Je ne réalisais pas encore… Cinquante ans, ce n’est pas rien. Là, je viens de le réaliser», confie-t-il en assumant des pleurs à la fois de tristesse et de satisfaction pour cette vie professionnelle qui a «passé si vite».

Retour dans le temps, 1er juillet 1970, avec Robert Dubois, son associé disparu trop tôt, Jocelyn Bergeron ouvre son salon situé au 50 rue Principale. «On a acheté ça de Bertrand Moreau. Lui, ça faisant 11 ans qu’il opérait à cet endroit», explique celui qui a choisi ce métier en raison de son physique et son amabilité naturelle.

«Je suis fait sur un frame de bicycle Targa», s’exclame-t-il. À l’époque, après avoir travaillé au garage de son père et au Rona de son beau-frère, le jeune Jocelyn Bergeron «tombe» sur le chômage et se cherche une profession. «Le gouvernement m’a payé un cours en coiffure à Montréal. Ç’a duré un an à l’École des métiers commerciaux. J’ai fait ça l’année de l’expo, en 1967», souligne-t-il. Ayant sa précieuse carte A en main, Jocelyn Bergeron effectue son apprentissage durant deux ans auprès de Fernand Landry de Notre-Dame-du-Bon-Conseil.

«J’ai toujours aimé le pétage de broue. J’avais la jasette naturelle. J’aimais bien ça; tu vois du monde tous les jours», ajoute celui qui précise qu’il n’y a jamais eu de batailles en 50 ans d’histoire de son célèbre salon. Mais parfois, le vendredi soir, des clients éméchés venaient quand même «s’enfarger» dans la chaise du barbier! D’autres, plus raisonnables, s’amenaient une petite bière ou deux, toujours dans un sac, au sortir de l’usine pour une parlotte. «On avait une petite table en arrière et on jouait aux cartes quand il n’y avait pas de clients», se souvient-il.

En groupe, les discussions tournaient souvent autour de la politique et du hockey. «Moi, le BigFoot, je suivais ça. J’avais plein de souvenirs sur les murs. Des Canadiens aussi. Dans le temps, moi j’étais Nordiques. On faisait des gageures. On s’obstinait, c’était le plaisir total», indique-t-il.

Autre tradition, pour chaque enfant client, un suçon les attendait toujours à la fin d’une coupe bien assis sur une caisse de 24. Un gain en hauteur qui est devenu, à travers le temps, un boitier recouvert de cuir.

Bien que la bonne humeur régnait habituellement, il demeure que Jocelyn Bergeron a été souvent d’une bonne écoute auprès de certains clients qui passaient des moments difficiles. «Ça arrivait plusieurs fois par année. Le gars s’arrangeait pour être seul avec moi. Je voyais que ça n’allait pas. « Ma femme m’a sacré là ». J’essayais de l’encourager en lui disant que ça se replacerait. Souvent, c’est ce qui arrivait», rapporte-t-il avec émotions.

Dans cette institution, à l’ombre de la majestueuse église de Saint-Léonard, le salon de barbier de Jocelyn Bergeron a eu également ses fidèles, comme Richard Lebeau. «C’était une tradition pour moi d’aller là. Je jasais avec Jocelyn. Comment tu ne peux pas jaser avec Jocelyn», reconnaît-il. Même chose pour Normand Gagné qui, en plus d’être un client de plus de 40 ans, était son voisin. «Je reste le loyer tout juste à côté. Je venais au salon tous les jours ou presque. C’était toujours plaisant venir ici», dit-il.

En plus des hommes léonardois, Jocelyn Bergeron coiffait de plus en plus ceux de l’extérieur. Ce dernier des Mohicans tenait en effet le dernier salon de barbier de tous les villages environnants. Que l’on soit d’ici ou d’ailleurs, une certitude, après une première visite, il se rappelait de votre nom.

Depuis trois ou quatre ans, le barbier avait réduit le tempo en ouvrant trois jours par semaine. Âgé maintenant de 75 ans, Jocelyn Bergeron s’inquiétait bien légitimement en lien à une réouverture dans un contexte de pandémie.

Ne souhaitant pas se mettre à risque, ayant eu de gros problèmes aux poumons il y a deux ans, Jocelyn Bergeron a pris la décision d’accrocher son rasoir et ses ciseaux. À peine retraité, le conjoint de Madeleine Milot ne s’ennuiera pas. «J’étais boss ici et ma femme à la maison. Là, je ne serai plus boss nulle part! Ma femme est contente. Elle me trouve déjà toutes sortes de jobs à la maison», s’exclame-t-il en riant.

Sans le savoir à ce moment-là, la dernière journée de travail de Jocelyn Bergeron fut le jeudi 12 mars. «Quand j’ai vu l’annonce de Legault qui fermait tout, je me suis dit : « Ça va me faire du bien une couple de semaines de vacances ». Mais plus ça rempironnait, moins je trouvais ça drôle. J’ai pensé à ma santé en priorité et j’ai décidé de sous-louer. Le matin du 20 mai, «bingo», j’ai déniché une gentille jeune femme qui va prendre la relève», explique celui qui promet de se faire coiffer au salon de Kiara Cerbo. «Je pense que je vais lui demander d’être la première coupe. Mes cheveux sont longs, ils seraient dus, justement».

Kiara Cerbo prend la relève de Jocelyn Bergeron.

 

La nouvelle barbière de Saint-Léonard

Voulant s’ouvrir un salon de coiffure à son domicile de Saint-Léonard-d’Aston où elle habite depuis quelques mois, Kiara Cerbo a sauté sur l’offre de Jocelyn Bergeron via une information privilégiée transmise par son ami Yanick Paré.

Originaire d’Acton Vale et coiffeuse depuis sept ans, l’entrepreneure dans l’âme a décidé de faire le saut en solo.

«La coiffure, c’est un métier où on peut être soi-même. J’aime beaucoup le contact avec les gens. Je suis très sociale. Je n’arrête pas de parler», dit-elle dans un rire communicatif.

Chaussant des grands souliers, la jeune femme est consciente qu’elle succède à un monument. «Je vais essayer de faire aussi mieux que Monsieur Bergeron», souligne-t-elle.

Reconnaissante, tout en faisant des modifications à la décoration du mythique salon, Kiara Cerbo consacrera d’ailleurs un mur de son nouveau lieu de travail à l’ancien occupant. «Je vais continuer le sans rendez-vous tout en ouvrant à une clientèle de femmes. La réouverture post-pandémie constitue une belle occasion de proposer du nouveau. Je vais suivre les consignes de la Santé publique et ça va bien aller», conclut-elle confiante.