Statut d’Indien: les Abénakis ont gain de cause

JUSTICE. Une cause cruciale pour l’avenir de la nation abénaquise vient de connaître un dénouement positif.

Le gouvernement fédéral a en effet décidé d’abandonner l’appel d’une décision de la Cour supérieure qui invalidait certaines règles jugées discriminatoires pour avoir accès au statut d’Indien.

Cette disposition dans la loi menaçait une disparition progressive et l’extinction pure et simple des Abénakis d’ici une centaine d’années en raison des difficultés à faire reconnaître leur statut, selon ce que faisait valoir un expert en démographie.

Dans un jugement rendu le 3 août dernier, Chantale Masse conclue que la discrimination fondée sur le sexe, dont les femmes autochtones et leurs descendants ont été victimes dans le passé concernant « le statut d’Indien », se perpétue encore de nos jours et devait cesser.

La juge Chantal Masse avait donné 18 mois au gouvernement fédéral pour corriger les dispositions pertinentes concernant le droit à l’inscription dans la Loi sur les Indiens avant qu’elles ne soient déclarées inopérantes pour violation injustifiée du droit à l’égalité garanti par la Charte canadienne des droits et libertés.

Comme le fédéral en a appelé le 2 septembre 2015, avant d’y renoncer le 22 février dernier les effets du jugement ont été suspendu pendant cette période. Le gouvernement fédéral devra maintenant amender la Loi sur les Indiens pour la rendre conforme à la Charte d’ici la fin août 2017 au plus tard.

Des milliers de personnes pourront alors regagner le droit à l’inscription et bénéficier du statut d’Indien.

La cause

Les communautés d’Odanak et de Wôlinak, en plus des nombreux Abénakis hors-réserve se sont battues pour que les femmes autant que les hommes puissent transmettre le droit au statut d’Indien.

Avant 1985, les Indiennes perdaient leur statut si elles mariaient un homme sans statut d’Indien et leurs enfants n’avaient pas droit à l’inscription au registre des Indiens. Par contre, les Indiens non seulement gardaient leur propre statut en mariant des femmes non indiennes, mais conféraient le statut à leur épouse et à leurs enfants.

Les amendements à la Loi sur les Indiens, adoptés simultanément à l’entrée en vigueur de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés avaient alors redonné le statut d’Indien aux femmes qui l’avaient perdu et conféré le statut à leurs enfants.

Les amendements de 1985 ont aussi créé des nouvelles règles d’inscription sans égard au sexe. En principe, les nouvelles règles exigent qu’une personne ait au moins deux grands-parents inscrits pour qu’un individu ait droit à l’inscription.

Cependant, en préservant les droits des femmes ayant acquis leur statut par mariage – tout en ne conférant pas le statut d’Indien aux époux non indiens des femmes indiennes ayant recouvert leur statut –, les amendements ont créé un nouvel avantage pour les hommes, découlant de la discrimination dans le passé.

En effet, les petits-enfants des Indiens ayant marié une non-Indienne étaient toujours assurés d’avoir droit au statut d’Indien de par leur grand-père indien et l’épouse de ce dernier devenue indienne par mariage : ces petits-enfants avaient les deux grands-parents exigés pour être inscrits au registre.

Par contre, les petits-enfants des femmes indiennes ayant marié un non-Indien n’avaient pas droit au statut parce qu’ils n’avaient qu’un grand-parent inscrit (sauf les cas où l’enfant d’une femme réinscrite en 1985 formait une union avec quelqu’un qui était Indien).

En 2009, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a jugé dans la cause McIvor que cet effet des règles d’inscription était discriminatoire à l’égard de certains descendants des Indiennes ayant perdu le statut.

Plutôt que d’en appeler à la Cour suprême du Canada, le gouvernement fédéral, en 2010, a amendé les règles d’inscription afin de conférer le statut d’Indien aux petits-enfants de ces Indiennes, s’ils sont nés après 1951.

Toutefois, tous ces petits-enfants ont obtenu un statut qui n’est pas transmissible à leurs propres enfants (à moins que l’autre parent ne soit un Indien inscrit).

Par contre, les petits-enfants d’un Indien ayant marié une non-Autochtone avant 1985 peuvent transmettre le statut à leurs propres enfants, même si l’autre parent de ces enfants n’est pas indien.

Dans un autre ordre d’idées, avant 1985, parmi les enfants nés hors mariage d’un Indien et d’une non-Indienne, seuls les fils avaient droit à l’inscription au registre des Indiens et non les filles.

Les modifications de 1985 ont accordé aux filles le droit à l’inscription, mais sans la possibilité de transmettre le statut à leurs enfants à moins d’être en union avec un Indien inscrit.

Toutefois, les fils nés hors mariage d’un Indien et d’une non-Indienne pouvaient transmettre le statut à leurs enfants même s’ils formaient une union avec une non-Indienne. Les amendements à la Loi sur les Indiens en 2010 n’ont rien changé à cette situation.

La Cour supérieure, dans le jugement Descheneaux, a constaté que les changements à la Loi sur les Indiens en 2010 mettaient fin à la discrimination seulement « dans le cas des personnes dans une situation rigoureusement identique » à celle des petits-enfants de Sharon McIvor, demanderesse dans la cause en Colombie-Britannique.

Selon la juge Masse, l’omission par le gouvernement fédéral, en 2010, de considérer les implications plus larges de l’arrêt McIvor a obligé les Abénakis « à faire valoir à grands frais leurs droits constitutionnels dans l’arène judiciaire dans de multiples cas très connexes plutôt que de bénéficier des effets plus larges d’une décision de principe et plutôt que de compter sur ceux et celles qui exercent le pouvoir législatif pour assurer le respect de leurs droits lors de l’adoption et de la révision de lois ».

 

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