Les régions ont soif de connexions plus rapides

TECHNOLOGIE. Pour inciter les fournisseurs d’Internet dits du «dernier mille» à couvrir des zones pas forcément rentables, le gouvernement fédéral s’est engagé à investir jusqu’à 305 M$ au cours des prochaines années. Le programme Un Canada branché, qui relève d’Industrie Canada, devrait ainsi investir dans des projets visant à offrir l’Internet haute vitesse, soit plus de 5 Mbit/s, à quelque 280 000 foyers qui en sont privés à l’échelle du Canada.

Pour la Fédération des coopératives de câblodistribution du Québec (FCCQ), qui chapeaute quelque 60 fournisseurs desservant 65 000 abonnés, les gouvernements font toutefois fausse route en faisant du seuil de 5 Mbit/s l’objectif à atteindre en région. «Ce n’est pas une vitesse très rapide, 5 Mbit/s. On a besoin de beaucoup plus que ça si on veut créer des emplois en région», commente son directeur général associé, Gaston Dufour.

Selon lui, la capacité des coopératives desservant «le dernier mille» à offrir des liens plus rapides à leurs membres est limitée par les fournisseurs traditionnels. Propriétaires des autoroutes régionales et nationales de fibres optiques auxquels les fournisseurs ruraux doivent se connecter, ceux-ci n’ont pas intérêt à susciter une compétition accrue. «Ces fournisseurs s’arrangent, dans leurs ententes avec les petits joueurs, pour qu’ils ne puissent offrir des vitesses supérieures à celles qu’ils offrent déjà, que ce soit 5, 10 ou 15 Mbit/s», décrie-t-il.

Un enjeu politique

Au-delà des enjeux commerciaux, l’infrastructure de fibre optique ne serait tout simplement pas en place dans plusieurs régions. Or, Gaston Dufour considère que les régions sont desservies par le jeu de la compétition, qui amène les principaux fournisseurs à travailler chacun de leur côté sur leur réseau de fibres optiques. «Bâtir quatre autoroutes en parallèle, ce n’est pas très productif», image-t-il.

Pour Yves Poppe, un consultant spécialisé dans les réseaux à grande échelle de fibre optique, l’argument de Gaston Dufour tient la route. «Traditionnellement, il faut que ceux qui sont propriétaires des grandes artères [de fibre optique] se fassent pousser le derrière pour partager. Il faut que le régulateur, le CRTC, soit assez ferme. Malheureusement, celui-ci est un peu trop dans la poche des Bell et des Vidéotron de ce monde.»

Selon lui, l’attitude conciliante du CRTC est en partie responsable du retard qu’a pris le Canada par rapport à l’Europe, où les régulateurs auraient les dents plus longues. En Suisse, notamment, l’Internet à haut débit est considéré comme un service universel, de sorte que les fournisseurs sont tenus d’offrir au moins 2 Mbit/s. Dans les faits, toutefois, 93% des Suisses ont une connexion d’au moins 4 Mbit/s (contre 83% au Canada) et 54% d’entre eux, une connexion d’au moins 10 Mbit/s (contre 33% au Canada), selon les données d’Akamai.

La longueur d’avance sur le Canada de plusieurs pays européens pourrait aussi s’expliquer par la volonté politique de l’Union européenne. En effet, l’adoption de l’Internet à très haut débit fait partie des objectifs adoptés par la Commission européenne dans son Agenda numérique. L’institution vise ainsi à ce que 50% de la population de l’Union européenne dispose d’une connexion de plus de 100 Mbit/s d’ici 2020.

Outre la voie réglementaire, Yves Poppe estime que les municipalités mal desservies pourraient améliorer leur sort en investissant dans leur propre réseau de fibres optiques, une approche privilégiée par de nombreuses villes en Suède, où 44% de la population dispose d’une connexion de plus de 10 Mbit/s, selon Akamai.

Gaston Dufour, pour sa part, s’inquiète de l’impact de la vitesse d’Internet sur l’économie des régions, mais aussi, sur l’éducation de ses jeunes. Pour lui, l’enjeu n’est pas technique, mais bien politique : «Il faut que le gouvernement détermine que la très haute vitesse, c’est une priorité, et qu’il force les fournisseurs d’accès à se moderniser», clame-t-il.

(Avec la collaboration de Louis St-Hilaire)