Un recueil pour faire entendre ceux qu’on n’entend pas

NICOLET. Trois femmes fréquentant l’organisme d’alphabétisation Alpha-Nicolet lancent cette semaine le recueil « Briser le moule, briser le silence ». L’ouvrage met en commun des bribes de leur autobiographie respective rédigée au cours des quatre dernières années et axée d’abord sur leur vécu scolaire et leur situation précaire.

Brenda Dobbs, Céline Lambert et Ginette Lavallée veulent porter l’attention sur l’injustice et les inégalités qui isolent et laissent des cicatrices dès le jeune âge. « On veut que ça change », disent-elles. « Que l’école change! »

Car elles réalisent que c’est ça, le principal point commun de leur histoire personnelle, même s’il y a un écart au niveau de leur âge. « On n’est pas toute seule à avoir vécu ce qu’on a vécu. Ça doit changer pour les générations à venir. On veut leur éviter cette souffrance-là. »

Elles croient que plusieurs personnes vont se reconnaître en lisant leurs récits.

Brenda Dobbs

Brenda a 54 ans. Être étiquetée, elle connaît ça. « Ça te suit tout le temps. Ça travaille tout le temps dans ta tête. Et tout ça, ça commence jeune. L’école nous apprend qu’on est différent », dit-elle.

Les étiquettes qu’on lui a collées, elle travaille fort depuis des années pour essayer de les arracher. « Je les haïs. J’en veux pas. Je pense à toutes les méchancetés qu’on m’a dites, à tous les chapeaux qu’on m’a mis. Si les personnes qui mettent des étiquettes pensaient à ce que ça fait, peut-être qu’elles arrêteraient d’en mettre. »

Ginette Lavallée

Ginette, 71 ans, est bien d’accord avec Brenda. Elle a vécu de l’intimidation à l’école en raison de son habillement et de ses défauts physiques. « Les autres élèves me rejetaient. Pour un enfant, c’est terrible. Encore aujourd’hui, j’y pense. J’ai encore de la peine. »

En plus d’être teinté d’intimidation, son parcours scolaire a été compliqué par sa santé fragile et par sa situation familiale. « J’étais malade souvent. Je pleurais souvent. Parce que chez nous, c’était pas facile. Ça brassait. J’ai été longtemps sans dormir à cause de ça. Alors quand j’arrivais à l’école, j’étais émotive. Des fois, je dormais sur mon pupitre. On me disait : qu’est-ce qui se passe, donc? J’étais pas capable de le dire, je pleurais. Tu sais, t’es un enfant : t’as pas de mots pour décrire les émotions que tu vis. Un enfant, ça devrait pas vivre ça. Mais tu le vis. »

« L’école ne parle pas des personnes », ajoute-t-elle. « Elle parle des résultats. Il faut entrer dans le moule. Mais les apprentissages scolaires sont pas adaptés à tout le monde. Si on n’entre pas dans le moule, on est mal pris. »

Céline Lambert

Céline, 46 ans, en sait quelque chose. Bien qu’elle aimait l’école, elle y a connu des difficultés. « La manière d’enseigner la matière, ça ne marchait pas pour moi. Ma fille a un ordinateur pour l’aider. Si, à cette époque-là, j’avais eu les mêmes outils qu’elle, j’aurais pu aller pas mal plus loin », raconte celle qui s’est rendue en secondaire 2 en français et en secondaire 4 en mathématiques.

« J’ai été en classe spéciale pendant cinq ans. Je n’ai pas appris grand-chose pendant ces cinq années. C’était vraiment plate! Le programme était mal fait pour les personnes qui avaient des difficultés. J’ai joué aux cartes, au Trou de cul, des fois pendant quatre périodes de suite. »

Elle admet ouvertement vivre dans la pauvreté. « Avec le recul, je pense que la pauvreté, c’est un héritage. J’ai découvert que mon arrière-grand-mère et ma grand-mère ne savaient pas lire. Ma mère n’est pas instruite non plus. Ça s’est transmis. Avec mes deux enfants, c’est moins pire, mais je pense que ça continue. »

Ginette renchérit : « C’est vrai qu’on transmet ça à nos enfants. Ils le voient. Ils ne sont pas aveugles! Surtout si on n’est pas capable de les aider dans leurs travaux scolaires. Mes enfants voulaient que je les aide à l’école, mais je ne peux pas : je ne comprends pas ce qu’ils font! »

Exercice libérateur

Écrire leur autobiographie a été un exercice libérateur et formateur. Tout au long de leur démarche, elles ont été accompagnées par Marie-France Gauthier, animatrice chez Alpha-Nicolet.

Elles sont reconnaissantes de leur expérience, qui leur a permis de cheminer tant sur le plan personnel qu’en lecture et en écriture.

« On a réussi à verbaliser ce qu’on sent et ce qu’on ressent. Ça donne un sens à notre vécu. Ça valait la peine », disent celles qui ont réussi à prouver qu’elles aussi, elles étaient capables de s’exprimer.

« Ce sont des marathoniennes », compare Marie-France Gauthier. Car même si le recueil est terminé depuis quelque temps, l’exercice s’est poursuivi. « Les filles ont travaillé sur comment elles voulaient le visuel du recueil. Elles ont choisi le papier et les couleurs. Puis, elles ont travaillé sur le déroulement du lancement (le 4 avril). Elles ont tout fait de A à Z. »

Le recueil de 57 pages circulera dans d’autres organismes d’alphabétisation au Québec. Il sera aussi disponible en dépôt légal et dans des bibliothèques.