Du conventionnel au bio : le choix audacieux de Samuel Richard

SAINT-LÉONARD-D’ASTON. Le producteur de pommes de terre Samuel Richard, à Saint-Léonard-d’Aston, achève une transition de ses terres de culture conventionnelle vers la culture biologique. Le processus s’est amorcé en 2018. Dès l’an prochain, toute sa production sera certifiée biologique.

Ce virage, il l’a entrepris par conviction. « Ce n’est clairement pas pour la facilité! », lance-t-il en riant.

Le jeune agriculteur aurait très bien pu se contenter de marcher dans les pas de son grand-père et de son père, qui ont bâti et exploité Proculteur Inc., une entreprise familiale d’envergure. La machine était bien huilée! Le hic? La manutention de produits chimiques, avec laquelle il n’était pas à l’aise. 

« Beaucoup de produits chimiques sont appliqués en production conventionnelle de pommes de terre. Je n’aimais pas ça. Pour notre santé et celle des travailleurs, on a décidé de carrément passer à un autre mode de culture, qui fait en sorte qu’on n’a pas besoin de manipuler ces produits-là. » 

Un choix pour le moins audacieux! « Ce sont deux mondes et deux façons de cultiver complètement différents », convient Samuel Richard, qui est cependant loin de regretter son choix. « Je trouve qu’on a plus d’autonomie à la ferme quand on produit en bio parce qu’on n’est pas dépendant des intrants. Cette autonomie me plaît beaucoup. »

Ce virage a bousculé toutes les pratiques en place, y compris la mise en marché des pommes de terre cultivées. Il a nécessité une grande planification afin de s’assurer de ne pas mettre en péril l’entreprise, aujourd’hui nommée Pro-Bio. Samuel Richard l’admet : « On s’est donné pas mal de troubles! ». Mais le jeu en vaut la chandelle, selon lui. « On est devenu l’un des rares producteurs spécialisés en pommes de terre biologiques au Québec. Je pense qu’on est cinq. C’est un petit monde. Il faut taper la trail, comme on dit! C’est un beau défi. » 

Afin de bien placer ses pions, Samuel Richard a commencé l’aventure en se lançant, avec son frère, dans la production de patates douces biologiques, il y a sept ans. « On savait que le marché de la pomme de terre biologique était beaucoup plus restreint que le marché conventionnel. On était conscient qu’on ne pouvait pas faire la transition vers le biologique en produisant seulement des pommes de terre. Il fallait diversifier, d’où le projet de patates douces. »

Puis, graduellement, de grandes cultures biologiques se sont ajoutées sur les terres: maïs, soya, blé et seigle. Elles étaient nécessaires pour favoriser la transition en tant que telle. Parce que pendant deux ans, tout ce qui est cultivé et récolté sur une terre en transition n’est pas certifié biologique et ne peut être vendu comme tel. La récolte est aussi moins abondante vu l’absence d’intrants.

Dans ce contexte, la meilleure stratégie, durant ces deux années, est de ne pas produire et de profiter de cette période pour implanter des cultures de couverture qui vont enrichir le sol. « Les engrais verts sont une partie très importante du nouveau processus de culture », insiste Samuel Richard.

Pour favoriser le tout, il a réduit sa superficie de culture de pommes de terre de 400 acres à 150. Ce faisant, il a pu mettre en place un système de rotation des cultures plus adapté à son projet: « On est passé d’une rotation sur trois ans à une rotation sur six ans », dit-il.

Le producteur souligne qu’au terme du processus de transition, ce sont 345 hectares de terre qui seront entièrement cultivés de façon biologique, toutes productions confondues (pommes de terre, patates douces et grandes cultures).

Nouvelle mise en marché

Avant le virage vers le biologique, les pommes de terre cultivées chez Samuel Richard étaient destinées au marché de la transformation. Le principal client de la ferme était situé à moins d’un kilomètre. « On prenait nos pommes de terre en vrac dans l’entrepôt, on les chargeait dans un camion, puis ça s’en allait là. C’était super simple. Mais dans le biologique, il n’y a pas de débouchés en transformation, actuellement. Alors maintenant, on fait l’entreposage et l’emballage des pommes de terre à l’année. On les lave, on les trie, puis on les met en sac, en format de cinq livres, avant d’aller les livrer chez les clients. C’est complètement une autre façon de faire. » 

Déclassement

En plus d’avoir à développer un nouveau marché, le producteur doit jongler avec un autre défi de taille : le déclassement des produits, plus fréquent en culture biologique qu’en culture conventionnelle.

Cette réalité est particulièrement frappante du côté de la patate douce. « C’est très difficile d’atteindre les standards de l’industrie parce que ces standards s’appuient sur la production américaine. Or, notre mode de production est différent et on n’a pas une saison aussi longue. Au début, on se disait que vu qu’on offrait un produit local, les clients accepteraient un produit différent. Mais ce n’est pas le cas. »

Un grand travail d’éducation doit être fait. Samuel Richard s’y attaque avec l’aide de son équipe, mais aussi de Moisson Mauricie/Centre-du-Québec, à qui il fait don de ses déclassements depuis septembre (plusieurs tonnes par semaine).

Il est en effet prévu que dès l’automne prochain, des boîtes de patates douces déclassées fassent leur apparition dans diverses épiceries de la région, au profit de l’organisme. « C’est bien de lui donner des denrées, mais on sait que c’est encore mieux quand on lui donne de l’argent », fait valoir Guillaume Allyson,  responsable du développement commercial pour la ferme. En effet, tel qu’indiqué sur le site web de Moisson, chaque 10$ versé permet à l’organisme de distribuer 210$ de nourriture.

Ce partenariat s’avérera donc gagnant-gagnant : en contribuant à une cause noble, le consommateur constatera que les produits déclassés sont tout aussi savoureux…