Cold Case : Michel Déry dans la mire de la Sûreté du Québec

FAITS DIVERS. La parution, en août 2018, d’un article liant Michel Déry, l’assassin de Mélanie Decamps, à la disparition non résolue de la petite Chantal De Montgaillard le 4 juin 1972 à Saint-Hubert, a déclenché une enquête de la Division des disparitions et dossiers non résolus du Service des projets d’enquêtes spécialisées de la Sûreté du Québec. (De larges extraits de cet article intitulé «Mélanie Decamps: souvenirs douloureux et révélations inédites» sont disponibles ci-bas) 

Chantal De Montgaillard avait 4 ans et demi au moment de sa disparition en 1972.

En effet, Michel Beaudoin et Jean-Paul Prince, les deux enquêteurs qui ont recueilli les confidences de Michel Déry suite à son arrestation le 20 août 1983, ont été rencontrés par les Cold Case de la Sûreté du Québec. En plus de résoudre officiellement la disparition de Chantal De Montgaillard, les enquêteurs spécialisés tenteraient de déterminer à quels endroits se trouvait Michel Déry entre 1972 et 1983 ainsi que depuis son arrestation dans l’éventualité où il aurait fréquenté des maisons de transition à la suite de son séjour à l’Institut Pinel. De cette façon, on souhaite vérifier si l’on peut le relier à d’autres agressions, disparitions ou meurtres non résolus. Un travail ayant été amorcé il y a plus de 35 ans.

Il faut savoir que dans les mois qui ont suivi l’été 1983, bien que Michel Déry était détenu suite à l’enlèvement et la mort de Mélanie Décamps, les enquêteurs de la Sûreté du Québec, Michel Beaudoin et Jean-Paul Prince, ont continué d’investiguer. C’est ainsi qu’ils ont appris qu’au parc des Voltigeurs de Drummondville, auparavant, une petite fille était disparue, mais avait été rapidement retrouvée.

«La femme qui s’est fait enlever son enfant n’a pas porté plainte à la police parce qu’elle était avec son amant au camping! En portant plainte, elle aurait été obligée de dire avec qui elle était. Michel Déry, c’est lui qui avait enlevé cette petite fille-là», affirmait sans ambigüité Michel Beaudoin lorsque rencontré au printemps 2018, par l’auteur de ces lignes.

Toujours en 2018, lors d’une conversation téléphonique, Jean-Paul Prince s’est rappelé également avoir rencontré Michel Déry à la prison de Sherbrooke durant le procès. «On a fait sortir tous les cas non élucidés dans la région et les environs. Il y a un autre cas qui est ressorti à Saint-Hubert : Chantal De Montgaillard».

Une discussion amènera Déry à avouer qu’il avait enlevé la petite fille de quatre ans alors qu’il était adolescent. Selon ce qu’il a indiqué aux enquêteurs, le 4 juin 1972, il l’avait amenée dans un petit bois derrière une église à Saint-Hubert, l’avait attachée après «un ti n’arbre», mais ne l’avait pas tuée, selon ses dires. À l’exception du lieu, c’est un scénario qui ressemble à s’y méprendre à celui de Mélanie Decamps.

À l’époque, les policiers d’expérience que sont Michel Beaudoin et Jean-Paul Prince ont évidemment validé la véracité de cette confession. Il faut savoir que dans ce type de dossier criminel, il y a des informations qui ne sont jamais communiquées aux médias. Une de celles-ci, dans le cas de Chantal De Montgaillard, c’était la couleur de ses sous-vêtements.

«Il nous a donné la couleur des petites culottes de Chantal De Montgaillard et c’était exact. Quand l’enquête a été effectuée à l’époque, en 1972, il n’avait pas été rencontré, car les parents de Déry étaient déménagés à Saint-Léonard-d’Aston quelques jours plus tard. Le corps n’a jamais été retrouvé. Effectivement, il y avait un petit boisé en arrière de l’église, mais ç’a été déboisé pour construire des maisons. On a parlé au procureur de la Couronne, mais comme il a été acquitté dans un cas, ça n’aurait pas donné grand-chose de l’accuser dans un autre. Et à part sa déclaration et sa connaissance de la couleur des sous-vêtements, on n’avait rien pour corroborer», divulguait Jean-Paul Prince en 2018.

Depuis, entre 1983 et aujourd’hui, à la lumière de l’enquête de la Sureté du Québec en cours, il semble que l’on ne laissera plus sombrer dans l’oubli bien longtemps la petite Chantal De Montgaillard. Peut-être, au passage, on trouvera réponse à d’autres disparitions ou meurtres non résolus depuis plus de 35 ans. Un baume, on ne peut plus souhaitable, pour des familles éprouvées.

 


À propos de Chantal de Montgayard

Chantal De Montgaillard, âgée de 4 ans et demi, est disparue le 4 juin 1972 vers 15h45 à Longueuil (St-Hubert). Laissée sans surveillance quelques instants avec son frère dans un véhicule automobile dans le stationnement de l’école Paul-Chagnon, c’est son père qui constate l’absence de l’enfant à son retour au véhicule. Les recherches effectuées n’ont pas permis de la retrouver.

Toute information pouvant aider à résoudre ce crime peut être communiquée à la Centrale de l’information criminelle de la Sûreté du Québec, au 1 800 659-4264.

(source :https://www.dossiersnonresolus.com/fr/crimes-non-resolus/chantal_de_montgaillard.html)


 

À titre informatif, nous reprenons de larges extraits de l’article paru le 12 août 2018 intitulé «Mélanie Decamps: souvenirs douloureux et révélations inédites» et signé par Stéphane Lévesque.

JUSTICE. Camping du parc des Voltigeurs, 9 août 1983. Une mère s’absente quelques minutes. À son retour, sa fille, Mélanie Decamps, est disparue. Douze jours plus tard, la fillette sera retrouvée morte, bâillonnée et attachée à un arbre. Retour sur ce tragique événement survenu il y a 35 ans

Le mardi 9 août 1983 est une belle journée ensoleillée à Drummondville. Elle va cependant s’assombrir rapidement.

«J’étais au travail quand l’appel est entré», se souvient Gilles Thériault, le responsable du poste de la Sûreté du Québec (SQ) à Drummondville à cette époque.

Sans tarder, des patrouilleurs se rendent au terrain de camping du parc des Voltigeurs pour rencontrer les parents et effectuer, en vain, des recherches aux alentours. Le périmètre de recherche s’agrandit et une demande d’assistance est adressée au niveau du district. Ce sont maintenant les crimes contre la personne qui s’occupe de l’affaire.

«On avait une disparition ou un enlèvement. À ce moment-là, on ne le savait pas encore», fait observer M. Thériault.

«Je faisais des vérifications régulières au poste de police», se rappelle Gérald Prince, journaliste à La Tribune pendant 27 ans et dans de nombreux hebdos qui ont jalonné l’histoire de Drummondville. «Ce jour-là, j’appelle et on me dit qu’une petite fille est disparue au parc des Voltigeurs. J’ai tout de suite envoyé un texte à La Tribune. Ç’a passé le lendemain matin dans le journal».

 À la recherche de Mélanie

Rapidement, l’équipe de la SQ en provenance de Trois-Rivières s’installe au poste de Drummondville. Barrage routier, plongeurs dans la rivière Saint-François, fouille complète du parc et des environs, tout sera déployé pour retrouver la petite Mélanie. C’est Michel Beaudoin qui est responsable de l’opération.

L’enquête s’amorce. «Premièrement, nous avons rencontré à nouveau Jacqueline Decamps, la mère de Mélanie. Elle m’explique qu’elle est allée au dépanneur du camping pendant 15 minutes en laissant sa petite fille sur une balançoire. À son retour, l’aînée de ses trois enfants n’était plus là. Après, on a fait le tour du parc et des environs. Rapidement, on a diffusé une description de la petite fille», se rappelle Michel Beaudoin.

Dès le lendemain de la disparition de la fillette de cinq ans, un témoin rapporte qu’il a vu, le 9 août, une petite fille tenant la main d’un homme à proximité du pont de fer qui enjambe la rivière Saint-François. Sur la base de cette observation, un portrait-robot est établi et diffusé. À la vue de celui-ci, un informateur déclare : «Ce gars-là, il ressemble à Michel Déry».

Ne faisant ni un, ni deux, Michel Beaudoin charge un de ses enquêteurs de rencontrer l’homme de 24 ans demeurant à Drummondville. Le policier revient faire rapport à l’enquêteur en chef : «Oublie ça, c’est pas lui pantoute. C’est un p’tit nono religieux qui parle de la Bible, pis toute sorte de patentes», avait-il lancé.

Gilles Thériault, dans les jours suivant la disparition, croisera également la route de Michel Déry au poste de police de Drummondville. «Une journée, je me rappelle, je sors de mon bureau, je vois un jeune homme assis-là. En passant, je demande : «Qui s’occupe de ce monsieur-là? Est-ce que c’est un visiteur. Quelqu’un qui vient pour une plainte?» Puis, un policier de Nicolet arrive. «C’est notre client. C’est une arrestation pour un vol d’auto. On monte avec pour le faire comparaître». C’était un jeune homme qui avait l’air d’un enfant. Il était très petit. Ça reste de même. Il a comparu et il a été libéré. C’était Michel Déry, mais il n’était pas connu de la police à ce moment-là», se souvient-il avec précision.

Le vendredi 12 août, une conférence de presse avec Daniel et Jacqueline Decamps, les parents de Mélanie, s’organise. Gérald Prince et des journalistes de Montréal y étaient.

«Dès que les gens voyaient un homme avec une petite fille, ils le signalaient à la police. C’était devenu une vraie folie. Il y avait même des diseurs de bonne aventure qui se prononçaient. Ça dépassait la raison. C’était vraiment une période où il y avait beaucoup de stress dans la population. Je le sentais», indique le journaliste drummondvillois.

Beaucoup d’appels sont acheminés aux autorités policières. M. Beaudoin cite en exemple : «La petite fille est icitte, mais je veux deux billets pour Diana Ross pis 200 piastres ». Des ostie de patentes de même», dévoile-t-il dans son langage coloré. Bien que non crédible à première vue, chacune des informations recueillies est analysée. «On était à peu près 100 qui travaillaient là-dessus. À Drummondville, mais aussi à Montréal, à Chibougamau, partout à travers la province, c’était le dossier de l’année. Des enlèvements d’enfants de même, il n’y en avait pas tous les jours».

Malgré les efforts déployés, on n’a toujours pas de nouvelles de Mélanie Decamps. C’est un hasard, mais surtout un enquêteur de talent qui va résoudre l’affaire : Jean-Paul Prince. Dans l’après-midi du 20 août, il roule dans les rues de Trois-Rivières, après avoir été dépêché sur une scène de crime à Louiseville, avec un collègue trifluvien. «J’allais le reconduire à sa résidence. En descendant, un moment donné, mon confrère me fait remarquer qu’il y a un gars qui ressemble à Michel Déry qui fait du pouce. Il est sur le boulevard des Chenaux à Trois-Rivières. On s’est arrêté. J’ai ouvert ma fenêtre et je me suis identifié. C’était bien lui».

Jean-Paul Prince invite Michel Déry à bord et une conversation s’amorce, en route vers Drummondville. «Je lui parlais de filles pour voir qui il était. Je lui racontais toutes sortes d’histoires. Je lui ai dit que j’avais déjà arrêté du monde qui avait commis des meurtres, mais que ces individus-là, ce n’est pas toujours de leur faute. S’ils ont tué, c’est parce qu’ils sont malades», révèle M. Prince.

En lui faisant des confidences sur le plan personnel, il tente de l’amadouer. «Il m’a confié qu’il avait été battu par ses parents. Il se faisait jeter dans la cave. Il m’a dit qu’il était resté à Saint-Léonard-d’Aston et qu’il était demeuré un moment donné sur la Rive-Sud de Montréal». Une information qui ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd et qui sera utile ultérieurement.

Progressivement, peu avant la sortie 181, Jean-Paul Prince se met à parler de la petite Mélanie Decamps. Puis, le policier se dirige vers le parc des Voltigeurs. Il y avait là une clôture brisée où l’équipe d’enquêteurs présumait que le suspect s’était esquivé avec la fillette. Arrivé devant, c’est à cet instant que le policier dit : «C’est ici que la petite fille a été enlevée et qu’elle est sortie par-là». Rapidement, il constate que Déry est nerveux. L’homme sur lequel l’étau se resserre ne se sent vraiment pas bien dans sa peau. Jean-Paul Prince revient à la charge en lui demandant s’il l’a enlevée et tuée.

«Il a répondu faiblement : «Oui, mais je l’ai pas tuée, pas tuée!»» relate M. Prince.

L’enquêteur tente de se faire rassurant en lui évoquant la possibilité qu’elle soit encore en vie. L’ayant convaincu qu’elle n’était pas décédée, Jean-Paul Prince amène Michel Déry au poste.

D’autres détails fusent en chemin vers le lieu où se trouverait Mélanie Decamps. Michel Déry explique aux enquêteurs qu’au départ, il avait amené jouer la fillette dans un parc et qu’ensuite, il l’avait amenée chez lui, dans son appartement du 285 rue Brock où ils ont dormi. À ce sujet, les différentes discussions avec Déry et l’état dans lequel a été découvert le corps n’ont pas permis de conclure qu’il y avait eu agressions sexuelles sur l’enfant. Toujours selon ce qu’a rapporté l’homme de 24 ans, le lendemain, le 10 août 1983, il souhaitait ramener Mélanie au parc des Voltigeurs. En voyant les hélicoptères déployés par la SQ dans le ciel, il a eu peur. Il est entré dans un bois, près du chemin Hemming, ramassé des rubans servant à identifier des arbres puis a attaché la jeune Decamps à un arbre, à quelques kilomètres au sud du pont Curé Marchand, près des tours d’Hydro-Québec, à environ 300 mètres de la fin de la rue Reid.

En raison de la noirceur, la recherche ne trouvera pas son aboutissement. Le lendemain, à 5 heures du matin, les recherches reprennent avec d’autres policiers en renfort et l’escouade canine. Des équipes arpentent la forêt, secteur par secteur. On quadrille systématiquement la zone de forêt indiquée par Michel Déry. En raison de forts vents qui nuisent à la détection des odeurs, c’est seulement en soirée, à 21 h30, que Mélanie Decamps est retrouvée morte attachée à un arbre avec ses bas enfoncés dans la gorge et un bandeau sur la bouche. Ces informations viennent en contradiction avec la rumeur voulant que Déry l’ait attachée pour «jouer» et qu’il l’ait «oubliée» où il l’avait laissée. Pour Jean-Paul Prince, il est très clair qu’il l’a attachée et étouffée. «C’est sûr qu’il l’a étranglée.»

La vue de la fillette attachée, gonflée par des journées d’exposition à la chaleur, n’est pas sans provoquer des réactions de rage et de colère.

«Ça marque quand tu vois ça sur place (…) Pour tous les policiers qui sont allés jeter un coup d’œil, au moins 80% sont revenus avec la larme à l’œil. Moi, le premier», témoigne avec émotions Gilles Thériault.

 

Le procès

Le 22 août 1983, Michel Déry est amené au Palais de justice de Drummondville sous forte escorte policière pour sa comparution où il est formellement accusé de meurtre au premier degré, de l’enlèvement et de la séquestration de Mélanie Decamps. Le procureur de la Couronne, Me Alain Perreault, recommande au juge Yvon Sirois que le prévenu subisse un examen psychiatrique. Déry est jugé apte à subir un procès. L’homme de 24 ans, par l’intermédiaire de son avocat, Me Yves Bolduc, opte pour un procès avec jury.

Le journaliste Gérald Prince se rappelle que des gens l’attendaient à l’entrée du tribunal et l’invectivaient. À l’intérieur, dans la salle de cour, M. Prince rapporte que Michel Déry avait l’air absent.

Cette absence, cette folie, cette aliénation mentale supposée sera au cœur des débats présidés par le juge Pierre Pinard. Différents spécialistes, psychiatres et psychologues témoigneront sur la capacité de Michel Déry à distinguer le bien du mal. C’est finalement pour la thèse de la non-responsabilité qu’optera le jury après moins de quatre heures de délibération, le 28 mai 1984.

Déry revient dans l’actualité le 12 juillet 2001 lorsqu’il a réussi à fausser compagnie aux gardiens de l’Institut Pinel, dans le cadre d’un programme de réinsertion sociale. Il a vite été retrouvé et ramené à l’établissement.

Cet acquittement pour aliénation mentale, 35 ans plus tard, laisse toujours un goût amer chez les intervenants rencontrés, dont Jean Fortier. «Je n’ai jamais cru ça l’aliénation. Pas assez fou pour mettre le feu, mais pas assez fin pour l’éteindre. Il était entre les deux», souligne celui qui a couvert l’entièreté du procès pour l’hebdomadaire Allo-Police.

Bref, la disparition et la mort de Mélanie Decamps ont profondément marqué la population. Tant pour Michel Beaudoin que pour Jean-Paul Prince, c’est le dossier le plus marquant de leur longue carrière dans les forces de l’ordre. «C’est l’enquête qui m’a le plus touché. Ça m’a marqué parce que c’est un enfant. Quand tu côtoies les parents comme on les a côtoyés, on vit leur peine. Ça fait 35 ans et j’y pense encore», dit Jean-Paul Prince d’une voix basse empreinte d’émotions…