Un redémarrage au printemps chez ABI?

DOSSIER. Bien qu’on semble s’éloigner de plus en plus d’un règlement à l’Aluminerie de Bécancour, le redémarrage des cuves d’électrolyse pourrait se faire au cours des prochains mois, et ce, malgré les effets d’une éventuelle hausse des émissions de fluorure.

C’est ce qu’a confirmé le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques (MDDELCC) après avoir procédé aux vérifications. À condition, ajoute-t-on, que «toutes les mesures soient prises» pour limiter les émissions de fluorure.

L’entreprise devra d’ailleurs transmettre au préalable un plan de redémarrage au MDDELCC. Celui-ci devra démontrer que l’entreprise sera en mesure de gérer efficacement ces émissions lors du redémarrage des cuves.

C’est que le processus génère notamment une augmentation de ces rejets atmosphériques par rapport aux conditions normales d’opérations. Or, certaines plantes en croissance – comme c’est le cas au printemps – peuvent être sensibles aux apports de fluorures.

Une attention particulière devra donc y être apportée. «Dans le plan de redémarrage, il pourrait notamment être prévu d’effectuer des inspections de la végétation, dont celles sensibles aux fluorures. Dans le cadre des opérations et afin de mettre en place des dispositions pour limiter les émissions de contaminants, des moniteurs (HF) pourraient être installés aux épurateurs et aux évents des salles de cuves afin de détecter rapidement les montées inhabituelles des émissions de fluorures», précise-t-on au ministère.

Si toutes les mesures pour limiter les émissions sont prises par ABI, le ministère est d’avis qu’aucun dommage ne devrait être constaté, peu importe la période de l’année choisie pour le redémarrage des séries de cuves qui ont été arrêtées il y a un peu plus de deux mois.

Pas d’impact en 2004-2005

Après vérifications, le ministère de l’Environnement ne croit pas que cette délicate opération puisse être plus problématique que durant l’hiver, lorsque la végétation est gelée. C’est d’ailleurs durant cette période qu’ABI avait redémarré ses cuves, en 2004-2005, après la fin de la grève qui s’était terminée en novembre.

«Aucun impact n’a été observé pour la santé de la population et pour l’environnement en général», a rappelé Daniel Messier, du MDDELCC.

En 2012, à Alma, la remise en fonction des 288 cuves arrêtées lors du lock-out décrété par Rio Tinto Alcan avait commencé à partir du 10 août. Le redémarrage s’était poursuivi durant la fin de l’été et le début de l’automne, durant la période des récoltes.

Un redémarrage plus complexe

Par ailleurs, le redémarrage que devra effectuer l’ABI devrait s’avérer plus complexe que celui qui avait été fait à l’issue du dernier conflit. C’est qu’à cette époque, selon ce qu’il nous a été permis d’apprendre, le moyen de pression préconisé par les travailleurs avaient été de tenir le métal en fusion à son plus bas niveau dans les cuves.

Cette façon de faire avait permis un redémarrage qui avait été relativement facile puisque la croûte de métal, qui s’était solidifiée dans les cuves, avait pu être cassée à l’aide d’arcs électriques. De ce fait, après trois semaines, tout le monde était revenu au travail, nous a raconté une source à l’interne.

Or, selon des informations qui ont été portées à notre attention, c’est l’inverse qui s’est produit cette fois-ci. En guise de moyen de pression, les syndiqués ont tenu le niveau de métal en fusion à son plus haut avant de se faire surprendre par le déclenchement du lock-out.

Ceci fera possiblement en sorte de complexifier le processus de redémarrage de 480 cuves dans lequel un important volume d’aluminium en fusion a figé depuis leur arrêt le 12 janvier dernier. L’opération pourrait coûter plus de 100 millions $, selon les chiffres avancés par le Syndicat.

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Un suivi serré des émissions de fluorure

Les émissions de fluorure du secteur de l’aluminium sont suivies de près depuis la fin des années 1970, soit depuis qu’on a découvert que des concentrations élevées dans les fourrages à proximité des usines d’Alcan, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, avaient causé des préjudices aux troupeaux de bovins.

Pour être non dommageable, la teneur de fluorure dans l’air devrait être sous les 20 parties par million (PPM) pour la plante et de 40 ppm pour la consommation animale. Des émissions anormales de fluorure dans l’air pourraient entraîner des impacts sur une distance d’environ 1,6 à 16 kilomètres de l’usine.

C’est ce que l’on peut apprendre dans un mémoire réalisé par Julie Salesse pour le compte de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) qui se base sur plusieurs études scientifiques.

La plupart de ces études ont été menées avant 1986, année où l’Aluminerie de Bécancour Incorporée (ABI) avait commencé sa production. Depuis le milieu des années 1980, des nombreux suivis sont d’ailleurs effectués.

Parmi les impacts, les fluorures peuvent ralentir la croissance, entraîner une diminution du rendement et même causer la mort de certaines plantes. Parmi les cultures les plus vulnérables, on note le maïs sucré et l’orge (jeune). Le blé et les plantes céréalières seraient parmi les plus résistantes.

Pour ce qui est des arbres, les conifères seraient les plus sensibles aux émissions, tandis que les feuillus et les arbustes auraient une résistance intermédiaire.

Chez les animaux, c’est le bétail et les moutons qui seraient les espèces les plus sensibles, comparativement aux porcs, chevaux et volailles.

Le saviez-vous?

Bien que la situation se soit considérablement améliorée au fil des ans, notamment avec la disparition des dernières usines fonctionnant avec la technologie Söderberg, la production primaire d’aluminium demeure l’une des principales sources d’émissions de fluorure dans l’air au pays. Selon le dernier rapport de développement durable de l’Association de l’aluminium du Canada, un peu plus de 2000 tonnes métriques ont été émises en 2016. Il s’agit d’une nette amélioration des émissions annuelles par rapport à 1993, où la production d’aluminium avait été responsable de 80% des émissions dans l’air au pays, avec 4063 tonnes.