Mario Lyonnais, le maire-fossoyeur

SAINTE-FRANÇOISE. À Sainte-Françoise-de-Lotbinière, dans la MRC de Bécancour, on enterre encore à la pelle presque tous les morts. C’est dans le plus grand des respects que la tâche est réalisée… par le maire de l’endroit.

Mario Lyonnais est le fossoyeur de sa municipalité depuis 33 ans. Une implication qui lui est chère parce que «c’est une étape de la vie que je franchis avec les gens», comme il le dit si bien. «Ce n’est pas une job. J’accompagne les familles. C’est un contact privilégié avec elles; une façon de les aider», résume celui qui a ce mandat particulièrement à cœur.

Au cimetière de Sainte-Françoise, le temps existe. L’humanité aussi. «Les gens ne sont pas des numéros», souligne le fossoyeur, qui connaît bien chaque famille de son village de 450 âmes. «En ville, souvent, tu vois la pépine qui est là, en arrière, et qui attend impatiemment que les gens s’en aillent [pour terminer l’enterrement]. Le mandat est donné à contrat à des entrepreneurs qui font ça en série la fin de semaine. Ici, on tient à ce que les gens puissent prendre le temps qu’ils veulent [pour faire leurs derniers adieux]. C’est important.»

Par exemple, cet été, une famille est venue passer une journée complète au cimetière avec les cendres d’un proche. «Ils avaient apporté leur lunch. Ils ont pris le temps de faire leurs choses. Je leur ai dit de m’appeler quand ils seraient prêts à ce que j’enterre [l’urne].»

Le fossoyeur laisse même aux familles qui le souhaitent la liberté d’enterrer le défunt avec lui. Il sait fort bien que pour certaines, ce geste est très significatif. «C’est émotif, car on tourne une page ensemble. Ça crée des liens assez particuliers.»

Le maire en lui apprécie aussi les échanges qu’il a avec les personnes endeuillées, car ils sont à mille lieues des soucis du quotidien. «Au cimetière, tu ne parles pas de pavage mais de familles, d’amitiés», affirme celui qui est impliqué en politique municipale depuis 31 ans, dont les 23 dernières années à titre de maire, en plus d’être préfet de la MRC de Bécancour depuis 8 ans et agriculteur de métier.

Perpétuer la mémoire

S’il le fait et persiste, c’est parce qu’il est important, à ses yeux, d’être présent pour ceux qui restent. Pour ceux qui survivent à Herman, Paul, Thérèse, Aline, Yves, Gérard, Fleurette, Pierre, Ti-Louis et tous les autres défunts qu’il a enterrés et qui suivront. Tous des voisins, amis, membres de la famille ou connaissances de Mario Lyonnais.

«Je connais tout le monde ici», laisse-t-il tomber, faisant revivre en quelques mots l’histoire se cachant derrière certaines épitaphes. Des histoires tantôt rocambolesques, tantôt tragiques, tantôt toutes simples. «La mort, c’est une étape de la vie.»

Une étape pour laquelle il ne devrait cependant pas exister de raccourci, selon lui. «Ici, il y a beaucoup de suicides. C’est terrible», regrette M. Lyonnais, qui a perdu un frère de la sorte il y a plus de 20 ans. «Depuis qu’on a un comité de prévention du suicide local, il y en a moins, mais encore trop. C’est rough

Les débuts

Évidemment, Mario Lyonnais a accompagné beaucoup de familles depuis le jour où on lui a demandé, en 1987, d’enterrer trois corps avec son frère. «La fabrique avait besoin de bras. On nous avait dit qu’on en aurait pour deux jours. À midi, on avait fini!»

À partir de ce moment, aucun corps n’est retourné dans le charnier, se plaît à raconter M. Lyonnais, qui creuse été comme hiver. Il fait d’ailleurs remarquer qu’il y a désormais très peu de corps à enterrer, soit à peine 15% à 20% des défunts; ce sont principalement des cendres qui aboutissent maintenant au cimetière de Sainte-Françoise.

Ce qui n’a pas changé, toutefois, c’est que beaucoup de gens continuent de fréquenter le cimetière du village. «Les familles y viennent surtout les fins de semaine. C’est toujours bien entretenu. Les gens se font un devoir de garder le cimetière propre», affirme M. Lyonnais.

Pour lui, ce lieu de recueillement est d’une importance capitale. Il permet, dit-il, de garder une trace tangible des gens qui nous ont précédés ou qu’on a côtoyés – chose qui devient impossible lorsque l’on dissipe les cendres d’un défunt à un endroit quelconque. «C’est comme faire disparaître quelqu’un. Il n’y a plus de traces de cette personne, pas d’endroit précis où se recueillir. Plus de lien pour les générations à venir…»

À Sainte-Françoise, il y aura toujours quelqu’un pour préserver la mémoire des défunts. Du moins, tant que ce sera possible…