D’infirmière à doula : pour voir la naissance d’un autre œil

NICOLET.  Infirmière de formation, Anne Lapierre a été exposée à toutes sortes de moments intenses en travaillant en salle d’accouchement à l’hôpital Sainte-Justine et à l’hôpital de Trois-Rivières, mais elle a également été témoin de toute la magie que peut apporter la présence d’une doula en salle d’accouchement.

Au moment de la pandémie, alors que le nombre d’accompagnateurs en salle d’accouchement s’est vu limité, Anne a senti un changement dans l’offre de soins. « Je me retrouvais un petit peu moins dans la pratique, avoue-t-elle. Il y avait moins de proximité ».

N’étant toutefois pas prête à délaisser son domaine d’expertise, elle a essayé d’autres types de soin sans y trouver ce qui lui manquait, soit le contact humain et, ce pour quoi elle avait eu la piqure, la périnatalité.

Anne a donc commencé à offrir des services de relevailles (soutien à domicile postnatal) ainsi que des cours prénataux. Mais sa clientèle en voulait davantage, elle voulait avoir Anne non seulement avant et après la naissance, mais également pendant. Elle a dont pris la décision de suivre sa formation de doula.

S’il existe encore un petit côté marginal à la carrière de doula, Anne Lapierre est persuadée que sa formation d’infirmière vient rassurer d’une certaine façon les familles qu’elle accompagne, malgré le fait qu’elle ne peut plus pratiquer ce métier; les connaissances et l’expérience sont toujours présentes. « J’ai toujours mes lunettes d’infirmière. Je comprends tout ce qui se passe, je comprends le jargon! », explique celle qui sert un peu d’interprète pour tous les termes médicaux employés et qui peuvent être déstabilisants. « J’ai deux regards. J’ai le regard physiologique de l’accouchement, mais aussi celui de l’accompagnement par des méthodes complémentaires. Je pense que c’est ce qui me distingue des autres doulas », ajoute-t-elle.

Anne a d’ailleurs eu une réflexion tout récemment durant laquelle elle a dû « choisir son camp », alors qu’elle se sentait assise entre deux chaises. « Quand tu es infirmière, même si la plupart d’entre elles vont donner tout ce qu’elles ont, vont être gentilles et disponibles, leur rôle premier demeure d’assurer la sécurité. Ce chapeau de supervision, d’évaluation et d’intervention, il n’est pas négociable quand tu es infirmière. Cependant, la partie accompagnement de l’infirmière est relative à sa disponibilité et son énergie, explique la doula. Pour moi, c’est cette partie qui n’est pas négociable. J’ai préféré opter pour ce chapeau que je n’arrivais pas à mettre de côté. »

« Plutôt que d’envisager toutes les possibilités où ça pourrait mal aller, je vais m’accrocher à ce qui est positif, je vais m’accrocher à ce qu’on veut se souvenir de cette expérience-là, poursuit-elle. Peu importe ce qui se passe, il y a des moments de joie et de bonheur. »

« Je pense que dans mon cœur, je ne suis plus infirmière depuis un petit bout. » Même si elle se sentait valorisée dans ses actions en tant qu’infirmière, Anne est persuadée que sa place est davantage en soutien. Plutôt que de suivre un protocole strict, elle vogue d’instinct.

Doula, un domaine touche-à-tout

En tant qu’infirmière en salle d’accouchement, Anne Lapierre trouvait difficile de ne pas déjà connaitre les couples qui arrivaient, déjà prêts à mettre au monde un enfant. « Je n’avais que quelques minutes pour faire un lien avec eux, pour ne plus jamais les revoir après », dit-elle.

En tant que doula, Anne peut accompagner les couples et les familles avant, pendant et après la naissance. Son plus long accompagnement a été de la 20e semaine de grossesse jusqu’à un an postnatal. « Tu te fais vraiment adopter! J’y allais chaque semaine », mentionne-t-elle.

Elle offre des cours prénataux ainsi que des rencontres prénatales afin de répondre à des questions et besoins spécifiques du couple, d’outiller les parents et de proposer des pistes de réflexion personnelle ou familiale. Elle offre aussi des consultations téléphoniques afin de répondre à des questions par rapport à des situations précises, comme le sommeil de bébé, les pleurs, l’allaitement, etc. Elle peut également référer, en cas de besoin, à d’autres spécialistes qu’elle connait dans la région.

La doula peut également accompagner le couple lors de l’accouchement afin de les aider à préserver leur bulle, les soutenir et leur apporter du réconfort.

Une fois de retour à la maison, Anne offre des services de relevailles. « Les relevailles, c’est un accompagnement qu’une sœur, une tante ou une mère ferait. Ce sont des bras de plus! », explique la doula. De jour, de soir ou de nuit, elle offre des blocs de trois heures afin de faciliter la transition après l’arrivée de bébé, dépendamment des besoins de la maman : écoute active, tâches ménagères, cuisine, etc.

« C’est de plonger tête première dans l’intimité d’une famille. Tu vois tout ce qui est beau, mais tout ce qui l’est moins aussi. Les relevailles, c’est une partie très vulnérable de la famille et ce n’est pas tout le temps facile d’accepter qu’un membre de la famille ou quelqu’un de très proche de nous ait ce rôle », estime Anne Lapierre. Parfois, les relevailles consistent à accueillir les émotions que vivent les nouveaux parents, dans un espace sûr, neutre et sans jugement.

Le militantisme pour la souveraineté des femmes

S’il n’y avait pas de doute pour Anne Lapierre qu’elle souhaite être doula, c’est le côté « lancement d’entreprise » qui la tracassait davantage. En plus d’une formation sur le sujet, elle a obtenu un soutien de la MRC de Nicolet-Yamaska et un accompagnement dans ses réflexions entrepreneuriales.

Elle accompagne des familles jusqu’à Shawinigan au nord, et à Drummondville et Victoriaville au sud. Pour les relevailles, elle est affiliée à Concevoir: centre de ressources périnatales et familiales à Drummondville, et travaille en étroite collaboration avec une doula de Trois-Rivières, Samy Harvey, qui offre des services complémentaires.

En plus de sa grande empathie, la doula est très curieuse et mène quelques projets de recherche chaque mois afin de parfaire sa formation et ses connaissances. « Tout d’un coup, j’entre dans un sujet et je plonge. Quand tu es intéressée, c’est du bonheur de faire ces lectures. En ce moment, je suis dans une espèce de fascination sur le quatrième trimestre et le changement identitaire que ça implique, le changement du couple qui devient une famille », mentionne Anne.

« Dans ma formation d’infirmière, on m’avait parlé, par exemple, de la phase de latence, de la phase active. Tu comprends un peu le mécanisme, mais tu ne comprends pas l’aspect identitaire, l’aspect psychologique. Je suis fascinée par le fait qu’une femme va porter un être humain dans son corps, le créer de toutes pièces, et se séparer de cet être humain-là, dit-elle. Je pense aussi que mon intérêt vient d’un profond féminisme. Mon travail, c’est de redonner souveraineté à la femme ainsi que sa capacité à prendre des décisions pour elle-même dans une situation où tout le monde te dit quoi faire », conclut-elle.