Sortir de la rue pour mieux y retourner… comme pair aidant

BÉCANCOUR. Depuis juin dernier, l’organisme LaRue Bécancour a réussi à aider plus de gens que jamais. En seulement trois mois, comparativement à toute l’année 2020, l’organisme est allé jusqu’à quadrupler la distribution de certains matériels de prévention. Ces résultats plus que satisfaisants ont été rendus possibles grâce à son tout nouveau projet-pilote de pairs aidants, mené de main de maître par Vicky Lavoie, travailleuse de rue, et épaulée par deux pairs aidants, Nancy et Benjamin.

Benjamin et Nancy en ont vu de toutes les couleurs dans leur vie. Ils ont vécu dans la rue, ils ont consommé toutes les drogues imaginables, ils ont été témoins de nombreux crimes. Pourtant, depuis quelques années, ils sont sortis de ce cercle vicieux, notamment grâce au soutien de LaRue Bécancour. À leur tour, ils ont décidé d’être présents pour tous ceux de la MRC de Bécancour qui en auraient besoin.

Benjamin rejoint déjà une quinzaine de personnes (de 18 à 82 ans, précise-t-il) qui n’avaient jamais été en lien avec les travailleurs de rue, alors qu’on parle d’un peu plus d’une vingtaine pour Nancy. Depuis juin, ils totalisent une centaine d’interventions. Vicky Lavoie confirme qu’il s’agit d’un nombre important (et encourageant!) d’interventions qui n’auraient pas eu lieu sans l’existence du projet-pilote.

Quel est le secret de Nancy et de Benjamin pour obtenir de si bons résultats? Tout d’abord, les deux pairs aidants, qui habitent la région de Bécancour depuis plusieurs années, ont déjà un cercle de connaissances, étant donné leurs activités antérieures. « Les gens sentent qu’il n’y a pas de préjugés, ils sentent un lien même s’ils ne savent pas nécessairement mon histoire », explique Benjamin. « Ils peuvent être eux-mêmes et on les comprend », ajoute Nancy.

Nancy et Benjamin suivent des formations afin de peaufiner leurs interventions, parce qu’en ce moment, ils sont principalement un pont entre les gens du milieu et les travailleurs de rue de l’organisme. Toutefois, les gens rencontrés par les deux pairs aidants ne sont jamais obligés de rencontrer les travailleurs de rue.

« S’ils ont juste besoin de distribution de matériel, d’écoute ou d’accompagnement vers une ressource qu’ils connaissent déjà, Nancy et Benjamin sont outillés de par le fait qu’ils sont en lien avec nous et de par leur histoire, de leur parcours personnel », explique Mme Lavoie. « Une fois où Nancy a été obligée de nous recommander à quelqu’un, c’était une personne qui n’avait pas de carte d’assurance maladie et qui était en situation d’itinérance », ajoute la travailleuse de rue.

« Nancy et Benjamin amènent quelque chose que nous on ne peut pas amener, c’est-à-dire l’expérience que les personnes de la rue vivent déjà eux-mêmes. Nous autres on arrive, oui avec des formations, oui avec des bonnes intentions, mais des fois ça peut mettre un blocage dans la tête de certaines personnes, et eux brisent ce blocage par leur présence, par leurs intentions, et ça nous permet de créer un contact plus facile avec eux », mentionne Frédéric, travailleur de rue.

Projet-pilote de LaRue Bécancour

Vicky Lavoie est l’instigatrice du projet-pilote de pairs aidants de LaRue Bécancour. « C’est parti de quelque chose qui me tenait à cœur personnellement, parce que j’ai fait un certificat en rétablissement en santé mentale dans lequel on parlait beaucoup de l’importance des pairs aidants. Des pairs aidants, il y en a auprès des gens atteints du VIH/SIDA, de l’hépatite, etc. », explique Mme Lavoie.

« Un pair aidant est une personne qui a un vécu et qui s’en sert pour aider les autres personnes qui traversent un peu la même histoire. C’est un projet que je ne peux pas faire toute seule, alors on a recruté Nancy et Benjamin! On a fait une demande de subvention à la Fondation santé Bécancour-Nicolet-Yamaska. C’est un projet-pilote pour démontrer qu’au sein de notre organisme, on a besoin des pairs aidants, et on a fait une demande de subvention au fédéral pour que nos pairs aidants soient rémunérés 35h par semaine au salaire des travailleurs de rue », poursuit-elle.

L’objectif avec le projet-pilote est de démontrer concrètement ce que le projet de pairs aidants apporte sur le terrain en milieu rural pour qu’il perdure dans le temps. « Normalement, les travailleurs de rue en milieu urbain sont présents à certains lieux propices à rencontrer des gens, tandis que dans le milieu rural, les personnes consomment souvent à domicile », explique Vicky Lavoie.

Il s’agit d’un réel enjeu concernant la prise de contact avec les consommateurs. « Il y a aussi la difficulté à rejoindre les travailleuses du sexe, parce qu’encore là, ça se fait un petit peu dans les motels, mais principalement à domicile », poursuit Mme Lavoie.

On peut penser à tort que le besoin est moins fort en milieux ruraux, mais c’est uniquement parce qu’ils ne sont pas à la vue de tous, car ils consomment en majorité à domicile. D’ailleurs, les consommateurs de drogues en milieux ruraux sont plus à risque d’overdose, car ils sont souvent seuls à leur domicile.

En plus de briser l’isolement de ces gens, Nancy et Benjamin peuvent leur fournir du matériel comme des trousses de nalaxone en cas de surdose, des seringues, des pipes à crack, des condoms, des produits d’hygiène, de la nourriture, des vêtements ou même de l’essence.

« Notre approche en travail de rue, c’est la réduction des méfaits, alors quand on rencontre une personne qui consomme, notre but ce n’est pas de la faire arrêter de consommer, c’est plutôt qu’elle reste en santé dans sa consommation, qu’elle ait de bonnes pratiques et que son environnement ne soit pas touché par sa consommation, par exemple en évitant la transmission des ITSS », rappelle Vicky Lavoie.

« On veut semer l’idée qu’ils peuvent s’en sortir et inciter les gros consommateurs à arrêter », dit Benjamin.

« Sans mettre de pression », précise Nancy.

 

« Parce que c’est à eux de décider », conclut Benjamin.