S’enraciner dans sa culture pour mieux la partager

ODANAK.  Réjean OBomsawin éprouve une profonde passion pour l’histoire autochtone et la culture abénakise. Par son ouverture, sa curiosité et son écoute, il se nourrit depuis son tout jeune âge des fragments de culture qui ont croisé sa route et de tous les enseignements dont il a pu bénéficier des ainés. Aujourd’hui à son tour considéré comme un ainé traditionnel abénaki, il met tout en œuvre pour partager et diffuser ses connaissances.

Même si certains rites ont été perdus et que rares sont les Abénakis d’Odanak qui parlent encore la langue, la famille de Réjean OBomsawin fait partie de ceux qui ont porté la culture le plus longtemps. Son arrière-grand-père était herboriste, et son grand-père et ses grands-oncles parlaient principalement l’abénaki et réservaient le français et l’anglais aux pratiques économiques.

« Mon grand-père faisait partie d’une famille de sept enfants, dont cinq fils qui, chaque année jusqu’à ce qu’ils soient trop vieux, se rencontraient pour parler la langue afin qu’elle ne se perde pas. C’était une question de fierté », explique M. OBomsawin.

Vers l’âge de 7 ou 8 ans, Réjean OBomsawin commence à visiter certains voisins et les observe travailler, et c’est ainsi qu’il apprend, notamment, les rudiments de la confection d’arc et de flèches. « Il y a un ainé en particulier qui me vient à l’esprit. J’allais le visiter et sa porte n’était jamais verrouillée. Tu rentrais, tu t’assoyais dans le coin de sa cuisine, et tu le regardais faire! », se rappelle-t-il.

Cependant, quand il a demandé à son grand-père de lui enseigner la langue, il lui a répondu que ça ne lui servirait pas. « Ce n’est pas tout de retrouver sa langue, il faut aussi avoir toute la compréhension et l’éducation philosophique qui vient avec elle, explique Jacinthe Laliberté, l’épouse de Réjean OBomsawin. Sinon, tu ne peux pas saisir physiquement le mot et ça ne résonne pas dans ton corps. »

C’est donc à la fin des années 80 que Réjean OBomsawin s’est réapproprié sa langue. Il a commencé en récitant les prières qu’il avait eu l’occasion d’entendre sur des enregistrements de son grand-père et de ses grands-oncles. « Lors d’une cérémonie, j’étais assis autour du feu, il était peut-être 3h du matin, et j’ai décidé d’essayer de réciter l’une d’elles. À un moment donné, j’ai entendu un bruit qui a fait le tour de moi. Encore aujourd’hui, j’en ai des frissons. Celui qui m’enseignait à l’époque m’a dit : comprends-tu maintenant ce que c’est quand tu parles ta langue là où tes ancêtres sont enterrés? La vibration va être différente de quand tu parles en français« , raconte-t-il.

L’expertise autochtone au service de tous

En 2017, Réjean OBomsawin et sa femme, Jacinthe Laliberté, se sont lancés dans l’écriture du livre Sang-mêlé, une œuvre de fiction entrecoupée de faits historiques sur les Abénakis. « C’est à l’image de ce que les personnes au Québec vivent », disent-ils. L’œuvre, qui est disponible dans toutes les bibliothèques du Centre-du-Québec, s’est vu décerner le Prix Littérature 2019 par Culture Centre-du-Québec.

En 2020, ils ont fait paraitre un second ouvrage, Abenaki Gedakina, un manuel scolaire conçu pour les élèves du 2e cycle du primaire et distribué un peu partout au Canada et aux États-Unis. Rédigé en anglais, le livre présente l’histoire contemporaine ainsi qu’une introduction à la langue abénakise en phonétique.

Entre leurs deux publications, M. OBomsawin a lancé l’entreprise humaniste Enseignement Abénaki, un centre culturel éducatif autochtone. Ce centre a pour mission de faire connaitre l’histoire des Abénakis avant le contact européen et d’apprécier les relations ainsi que les alliances qui font partie intégrante de l’histoire du Québec depuis la Nouvelle-France.

« Avec le nombre incessant d’informations véhiculées concernant les autochtones dans l’actualité et les médias sociaux, le besoin de démêler et de démystifier certaines croyances populaires est devenu essentiel pour notre société qui souhaite parler dorénavant de vérité et de réconciliation », expliquent-ils.

Ces services sont offerts à tous, autochtones et allochtones, en anglais et en français, en présence ou en virtuel. Les ateliers et conférences sont offerts aux particuliers ainsi qu’aux groupes et entreprises de différents milieux professionnel, scolaire ou associatif. Depuis 2019, ce sont une cinquantaine de conférences qui ont été offertes, notamment dans les cégeps, les universités et à l’École de la fonction publique du Canada.

Ce n’est pas pour rien que M. OBomsawin parle ouvertement et librement des alliances et mariages au Québec entre les Abénakis et les autres nations, et qu’il met de l’avant ces valeurs – l’intégrité, l’authenticité et l’égalité – dans ses enseignements. Sa mère est Québécoise et a des ancêtres autochtones, mais elle n’a pas été reconnue à la naissance. « Mon grand-père et mon père ont toujours dit : on fait partie d’eux comme eux font partie de nous et il faut toujours accueillir autrui comme s’il était un membre de notre famille« , témoigne M. OBomsawin.

« Il faut trouver un terrain d’entente comme nos ancêtres, et il faut qu’on apprenne d’eux pour avancer. Dans nos ateliers, les gens ont souvent les larmes aux yeux, car ils se sentent acceptés et ils ne sont pas jugés », révèle Mme Laliberté. Ils racontent d’ailleurs que dans leurs ateliers, un Australien s’est joint à eux et ils ont découvert que la grand-mère de celui-ci est une Capino d’Odanak. « Cette personne, c’est incroyable ce qu’elle vit. Enfin, elle se sent bien, elle est à l’aise de faire son rituel. Elle réalise que ça lui appartient et qu’elle ne sera pas jugée ni accusée d’appropriation culturelle. Ce sont de gros mots qui ne servent absolument à rien outre à séparer le monde », affirme Mme Laliberté.

« On est humaniste et on prend soin du monde à qui on enseigne, parce qu’on les traite comme des êtres humains. On veut que les gens apprennent des choses d’ici, et on conscientise le monde à qui ils sont », concluent-ils.