Dompter un géant avec un pont

HISTOIRE. Avec ses 10 000 mètres cubes d’eau qui défilent à chaque seconde, le fleuve Saint-Laurent constitue un obstacle de taille pour ceux qui tentent de le traverser à la nage ou à la rame. Longtemps, il s’est dressé tel un mur entre la rive nord et la rive sud. Mais la construction du pont Laviolette, terminée le 20 décembre 1967, a complètement changé la donne.

Aujourd’hui, il ne suffit que d’une minute et demie en voiture pour se rendre d’une rive à l’autre. Rien à voir avec les excursions parfois périlleuses de nos ancêtres, qui traversaient le Saint-Laurent en canot ou en barque, l’été, ou encore en traîneau ou en raquettes sur un pont de glace, l’hiver.

C’est au milieu du 19e siècle que la traversée du fleuve commence à être facilitée. Un bateau à vapeur, «Le Normand», propose un service de navette entre les deux rives, en 1847 et 1848. Ce rôle sera repris par 24 bateaux-passeurs jusqu’à la disparition complète du service, une fois le pont Laviolette ouvert.

Un grand pan de cette histoire de la navigation appartient à la famille Bourgeois de Sainte-Angèle-de-Laval. Durant une cinquantaine d’années, elle a assuré le service de traverse. Elle a mis à l’eau son premier traversier en 1853: le «Charles-Édouard», un bateau à vapeur confectionné par Édouard Normand, un maître charpentier de Cap-de-la-Madeleine.

«À l’époque, il y avait quatre débarcadères, raconte l’historien Martin Gauthier. Le traversier était en fonction jusqu’à l’hiver. Par la suite, on faisait un chemin de glace, balisé avec de grands sapins.»

La flotte des Bourgeois évolue et s’adapte aux besoins au fil des ans. Un brise-glace, le «Glacial», s’y greffe même en 1885 afin de prolonger le service de navette à l’arrivée de l’hiver. C’est en 1912 que les autorités municipales trifluviennes prennent la relève du service.

Boum économique… et casse-tête!

Avec l’implantation du service de traverse, le passage d’une rive à l’autre du fleuve est facilité. Les échanges entre les deux rives décuplent. Les affaires sont florissantes et, inévitablement, le service gagne en popularité. Il n’est pas parfait, puisqu’il n’est pas en fonction 24h sur 24 ou lorsqu’il y a de la brume, par exemple, mais on s’en contente. Traverser le fleuve prend alors une quinzaine de minutes.

Or, vient un temps où le service ne suffit plus à la demande. C’est l’avènement des véhicules automobiles et le développement de l’industrie ferroviaire dans la région qui compliquent de plus en plus les choses. Les traverses sont pleines, les files d’attente s’allongent. La nécessité de construire un pont s’impose alors de plus en plus dans la tête des intervenants économiques trifluviens.

À l’aube des années 1950, la Chambre de commerce de Trois-Rivières commence à militer publiquement en faveur d’un tel projet. Elle entreprend une vaste campagne au cours de laquelle elle scande «Le pont, il nous le faut et nous l’aurons!». En 1954, elle commande des études à cet effet. Le gouvernement du Québec se saisit du dossier. En 1964, le chantier démarre. Il durera trois ans et coûtera 50 M$.

 

Quelques dates marquantes

9 avril 1946: la construction du pont est discutée au parlement d’Ottawa. Le député Dubois, de Nicolet-Yamaska, présente une motion pour que le gouvernement mette à exécution une motion déjà adoptée en 1936.

De 1948 à 1960: campagne «Le pont, il nous le faut et enfin nous l’aurons»

Le pont Laviolette dans ses jeunes années. (Photo: gracieuseté de la famille Gérard Gauthier)

1953: 30 000$ sont amassés par la Chambre de commerce de Trois-Rivières pour des études

sur le pont.

1956: Maurice Duplessis déclare : «Si vous ne votez pas Union nationale, vous n’aurez pas de pont»

1957: dévoilement le 28 avril des esquisses du pont montrant les cinq étapes de sa construction espérée.

1960: le 8 janvier, Antonio Barrette, nouveau premier ministre unioniste affirme: «Le pont sera construit». Le 15 juin, le chef libéral Jean Lesage confirme: «Le pont vous l’aurez.»

1964: les travaux du pont démarrent.

1965: explosion qui fait éclater un caisson au pilier numéro 2, faisant 12 morts (7 septembre)

1967: inauguration le 20 décembre par le ministre de la Voirie, Fernand-Joseph Lafontaine.

(Source: Transports Québec)