Des camerises pour repousser ses limites

BÉCANCOUR. Même s’il est aveugle, Benoit Pellerin voit clair! Le jeune producteur agricole de Bécancour a consacré les cinq dernières années à se façonner un avenir professionnel adapté parfaitement à sa limitation, dans un créneau niché, de surcroît: il s’est lancé dans la production de camerises.

Sur une parcelle de terre de deux hectares que ses parents ont accepté de lui louer à long terme, il a planté 4500 plants de quatre variétés différentes, à l’automne 2019, après avoir monté son plan d’affaires.

« Je cherchais quelque chose qui me permettrait d’être autonome. Car même si je suis reconnu comme aveugle, ça ne veut pas dire que je ne vois pas du tout. Il y a un spectre: je vois les formes et le mouvement. Mon rayon de vision, c’est la longueur de mes bras. Par exemple, même dans des conditions idéales, je ne vois pas les lacets de mes souliers. »

« J’ai toujours été comme ça, mais je me suis toujours débrouillé pour que ça ne paraisse pas. J’ai essayé d’ignorer mon handicap, de faire comme s’il n’existait pas, mais un moment donné, ça m’a rattrapé au travail », admet-il en toute transparence.

Benoit Pellerin a réussi ses études sans jamais avoir vu quoi que soit sur un tableau. Il a notamment décroché un baccalauréat en communication simplement en écoutant ses professeurs durant les cours. Ensuite, il a travaillé dans un bureau. C’est à partir de ce moment que sa condition s’est détériorée. Vers 25 ans, les migraines ont commencé à se multiplier. Il a développé de la photophobie, c’est-à-dire une intolérance à la lumière. « Pendant un an, j’ai dû rester dans le noir. J’ai eu un remaniement de carrière à faire. » 

Il en est venu au constat qu’il ne pouvait plus travailler pour quelqu’un d’autre que lui-même. « C’est là que j’ai décidé de démarrer la ferme. La camerise, c’était intéressant à plusieurs niveaux: il y en a peu dans la région, c’est très résistant et ça nécessite peu de main-d’œuvre. Aussi, la maturation est uniforme, ce qui se prête bien à une récolte mécanisée. Cet aspect était important pour moi, parce que les fruits, je ne les vois pas dans les plants. C’est ce qui me permet d’être autonome en affaires malgré mon handicap. »

Ayant grandi sur la ferme familiale, soit la Ferme Missouri, l’entrepreneur était en terrain connu en se lançant en agriculture. « Je ne pars pas de zéro; c’est un gros avantage », souligne celui qui a investi 80 000$ dans son projet et qui a pris les moyens nécessaires pour le faire fleurir. « On ne peut pas tout savoir. Le secret, c’est de s’entourer des bonnes personnes, d’aller chercher les bons avis. »

Première récolte

Ses camerisiers ont commencé à produire leurs premiers fruits l’été dernier. Au terme de cette première saison de récolte, une tonne de camerises a été cueillie.

« La récolte dure de 4 à 5 semaines, de la fin juin à la fin juillet. Dans mon plan d’affaires initial, je prévoyais vendre toute ma production en gros. Mais entre le moment où j’ai planté et le moment de ma première récolte, le prix en gros a chuté. Ça partait de 5-6$ le kilo, et ç’a baissé à moins d’un dollar le kilo. À ce prix-là, je n’étais pas rentable, alors je me suis reviré de bord. J’ai acheté des congélateurs pour vendre des camerises congelées à la ferme et j’ai démarré l’autocueillette. Ç’a dépassé toutes mes attentes! »

Il prévoit récolter deux tonnes de fruits cet été. Lorsque sa plantation sera à maturité, d’ici trois ou quatre ans, elle devrait en produire de 4 à 5 tonnes annuellement.

« Dans mon cas, l’autocueillette est la meilleure solution pour vendre mes fruits. Ça m’évite d’investir dans de l’équipement et de l’espace de congélation supplémentaires. Les gens passent en premier sur les plants, ce qui leur permet de remplir rapidement leurs paniers. Ensuite, je repasse avec ma machine à récolter pour vider les plants complètement ». 

Cette machine chevauche les plants. La partie inférieure, semblable à un large panier incliné, se glisse entre le sol et les branches. Puis, les plants sont secoués à l’aide d’un césar modifié, ce qui fait tomber les fruits.

Le désavantage de la récolte mécanique, c’est qu’il n’y a pas que les fruits qui tombent, mentionne M. Pellerin. Divers débris s’y mêlent, comme des feuilles ou des bouts de branches. Un tri doit être fait. Pour éviter d’abîmer les camerises, qui sont très fragiles à manipuler, le tri se fait une fois qu’elles sont congelées, à l’aide d’un système de tamis et d’aspiration.

« Ça enlève 95% des débris. Pour enlever les restants, on étale tout sur une table et on trie un par un. On fait ça pendant l’hiver », explique M. Pellerin, qui peut compter sur des proches pour l’aider, dont sa conjointe et précieuse alliée, Stéphanie Lord.

Des projets

Maintenant que la production est commencée, Benoit Pellerin songe à l’évolution de sa ferme.

Éventuellement, il aimerait bâtir un kiosque, voire une bâtisse multiservice, près de sa plantation, pour y vendre directement ses fruits et procéder à leur transformation. Il y déménagerait aussi son système de tri et ses congélateurs.

« Ce ne sont pas les projets qui manquent, mais je dois développer mon entreprise en fonction du temps que j’ai et de ce qu’elle me rapporte également. On a eu de gros investissements de départ à faire; on va essayer de retomber sur nos pieds », termine-t-il.