« Certains font des casse-têtes, moi je fais des sabots! »

BÉCANCOUR.  Forgeron, tonnelier, fondeur de cuillère… ces vieux métiers du quotidien québécois tendent à disparaitre, avec une partie d’histoire en prime. Heureusement, une poignée d’artisans passionnés s’activent à faire revivre ces traditions et à cultiver le plaisir de travailler de leurs mains, à la sueur de leur front. C’est d’ailleurs ce que se plait à raconter Yves Cossette, un des rares sabotiers de la province, et c’est à Bécancour, dans le secteur de Gentilly, qu’on peut le retrouver.

Comment devient-on sabotier? « En sabotant! », lance M. Cossette. C’est effectivement un peu comme ça que c’est arrivé, il y a 25 ans. Lorsqu’il est emménagé à Gentilly, au lieu de planter son potager dans le sable comme auparavant, il a dû le planter dans la glaise. « J’ai dit « flûte! ». Chaque fois que je vais dans le potager, je reviens et mes espadrilles sont sales. Je les lave au boyau d’arrosage, mais ça prend deux jours à sécher. Je me suis donc dit que je me ferais des sabots! J’ai pris une bille de bois et j’ai commencé à la gosser avec ce que j’avais ici : une perceuse, un tournevis, des petites cuillères à gosser« , raconte le sabotier.

« On était loin de quelque chose qui ressemblait à un sabot! C’était un trou dans un bout de bois! », dit-il en riant. Il retirait toutefois énormément de plaisir à la saboterie.

Puis, un jour, Yves Cossette apprend qu’il aurait la possibilité de suivre une formation de sabotier, tout à fait gratuitement, à condition d’être sélectionné… « J’ai appelé la dame le mercredi. Elle me dit : D’accord, mais vous êtes le centième sur la liste. Je lui réponds : Parfait madame! Mettez mon nom! S’il y en a 99 qui pognent la grippe, je tombe premier! Et cet optimisme a payé, parce que le vendredi, on me demandait de me rendre en Ontario, où un sabotier allait me montrer à saboter, dès le lendemain! », explique M. Cossette. Qu’est-il arrivé avec la liste d’attente? « Je n’ai jamais osé poser la question, parce que ça m’avantageait de ne pas le savoir! »

Avec son nouveau statut de sabotier, Yves Cossette fait le tour du Québec, de l’ile d’Orléans à Beauharnois, de Sherbrooke à Shawinigan, afin de faire des animations. « J’ai fait plus d’animations que de paires de sabots réussies! », dit-il en riant. « Durant mes animations, je n’en ai jamais complété une paire, parce que j’ai toujours le nez dans les airs et je manque de concentration! »

Il a également eu la chance de traverser la frontière, chez nos voisins du sud, afin de faire des démonstrations de saboterie. « C’était assez comique de passer aux douanes! Pas tant à cause des outils, mais bien à cause du bois, car ils craignent la contamination. Quand j’ai ouvert mon coffre, le douanier a vu les outils, de gros couteaux, des haches… l’affaire, c’est que le monsieur qui me fouillait était un maniaque des vieux outils! Ça m’a donc pris une heure aux douanes! »

Découvrez le secret de la… saboterie

Yves Cossette explique que pour fabriquer une paire de sabots, on commence par couper une bille de bois – ce dernier travaille avec du peuplier – en fonction de la pointure désirée. Ensuite, il faut couper la bille en quartiers et en retirer le cœur, puisqu’il sèche trop rapidement. « Si je travaille avec le cœur, mon sabot va fendre », explique le sabotier.

Il doit ensuite dégrossir son quartier à la hache, et enfin donner les angles qui détermineront le pied droit et le pied gauche. « Ce que j’ai lu, c’est qu’un bon sabotier donne 13 coups de hache pour arriver à ça! »

Ensuite vient le tour des ciseaux – trois différents. « J’appelle ça des cuillères, les sculpteurs appellent ça des gouges. Mais c’est la même chose! Jusqu’à présent, on travaille avec les mêmes outils que le menuisier, le charpentier, etc. » Le sabotier creusera donc trois trous, qu’il viendra ensuite agrandir, puis vider.

« Puis, on utilise le paroir, le seul outil unique au sabotier et que les autres corps de métier n’utilisent pas. Une fois qu’on a dégrossi à la hache, il faut égaliser le plus possible. Et c’est avec le paroir qu’on fait ça! »

Il faut finalement adapter le sabot au client. « C’est pour ça qu’à l’époque, on connaissait les petons de tout le monde; il fallait ajuster les sabots! Également, on pouvait dire en regardant les sabots de quelqu’un d’où il provenait, parce que le sabotier de chaque région faisait ses sabots à sa façon. Tout le monde avait un peu sa touche, sa marque de commerce comme sabotier », raconte M. Cossette.

La question que tous se posent, car oui, on portait bel et bien le sabot au Québec jusqu’à la fin des années 1800, est : Est-ce que c’est confortable?

« Quand le matin tu es nu pieds, et que le soir, après être allé chez le sabotier, tu portes des sabots, c’était confortable pas à peu près! Quand tu te promenais dans les sentiers de terre battue et que Pâquerette, ta vache préférée, te dépassait et qu’elle te marchait sur le pied, avec une paire de sabots, ça faisait moins mal! Oui c’est plus confortable, mais ça dépend du moment où on est dans l’histoire! », explique M. Cossette.

Pour porter des sabots de nos jours, il faut déprogrammer son cerveau et réapprendre à marcher! Pour savoir si le sabot est de la bonne pointure, il doit y avoir un espace entre le talon et l’arrière du sabot. « Marcher est un déséquilibre. Vous dites à votre corps : Va par en avant. Et mes jambes vont me rattraper avant que je tombe. Avec une paire de sabots, c’est différent, ça ne plie pas! On marche sur le talon et on berce le sabot, le corps droit! Si on ne berce pas, c’est le dessus du pied qui fait mal », explique le Bécancourois.

Un savoir à partager

Ce qu’Yves Cossette considérait comme sa paye, c’est lorsque quelques personnes s’attroupaient devant lui afin de l’observer travailler et de lui poser des questions sur son métier.

« Durant les animations, les gens demandaient s’ils pouvaient prendre des photos. Oui, mais pas de la face, ce n’est pas important! Mais les mains qui travaillent, ça, c’est important. Ça se fait à la main, par du monde. C’était ma fierté, de travailler le bois et de faire connaitre aux gens ce métier disparu depuis quelques centaines d’années ».

« Je fais des sabots pour le plaisir! Certains font des casse-têtes, moi je fais des sabots! « . Malheureusement, Yves Cossette a dû accrocher ses lames pour l’instant, car des problèmes de santé, dont des maux de dos, l’empêchent de saboter.  » Ça prend une certaine force, pour fabriquer des sabots. Je suis grand, alors j’utilisais mon corps pour forcer, mais tous les outils coupent comme une lame de rasoir. Le pire, c’était de rester debout toute la journée. »

Il avoue d’ailleurs être désolé de ne pas avoir pu transmettre ses connaissances à qui que ce soit. « J’ai 67 ans et mon corps commence à me lâcher, dans le sens que j’ai des maladies que je ne savais pas qu’elles existaient. J’ai un neveu qui s’est dit intéressé par mes outils, mais il demeure en Alberta, et le régime français ne s’est pas rendu en Alberta! Ça ne sert à rien que ce soit en Alberta et que ça poirote chez lui. Ce sont des outils vivants qui ont travaillé », explique Yves Cossette.

Des outils, M. Cossette en possède trois ensembles qui proviennent de Hollande et de France.

« Je suis un peu émotif quand je parle de tout ça. Je ne laisserais pas ça à n’importe qui. Je dois connaitre la personne et je dois savoir que la personne tripe de toucher à ça », conclut-il.