« Enquête » sur…?

LETTRE OUVERTE. À voir le salmigondis de l’émission « Enquête » diffusée par Radio-Canada le jeudi 21 janvier, il y a de quoi s’interroger sur le sérieux de la démarche journalistique.

La mise en vedette d’un conflit interpersonnel entre deux individus, un Abénakis inscrit et un non-Autochtone au sens de la Loi sur les Indiens, sous couvert d’une prétendue appropriation culturelle, n’avait l’air de rien d’autre que ces accrochages non fondés, sinon par quelque sentiment de rejet qui fait tant de ravages sur des réseaux sociaux infiniment plus destructeurs que les parvis des églises.

Il faut bien noter que ce ne sont pas les Abénakis d’Odanak qui accusent Sylvain Rivard d’appropriation culturelle, mais le conseiller Jacques Thériault-Watso, avec l’appui du Grand conseil tribal des Abénakis, sans que cette instance n’ait au préalable obtenu l’aval du Conseil des Abénakis d’Odanak.

Dommage d’ailleurs que l’émission ait laissé croire que la lutte contre l’appropriation culturelle fait partie des causes auxquelles s’attaquent les Abénakis, puisque c’est plutôt sur la valorisation culturelle et le partage des savoirs sans égard aux statuts que notre communauté se concentre, comme le souligne le chef Rick O’Bomsawin dans l’édition de janvier 2021 du W8banaki Pilaskw publié à Odanak.

Inscrits et non inscrits

Que confusion par ailleurs quant aux volets sur les Autochtones autoproclamés, les Métis, les fausses cartes attestant de l’identité indienne de son détenteur, et que dire des témoignages de généalogistes qui prétendent que les archives sont fiables; ce qui est totalement faux.

Il suffit de feuilleter les pages de registres paroissiaux pour en avoir la certitude, puisque nombre de noms autochtones ont été ignorés et remplacés par des prénoms courants, ou par la simple mention « Sauvage ». La transmission orale devrait alors avoir préséance.

Il est donc incompréhensible qu’à « Enquête » on ait omis de préciser que ce ne sont pas les Indiens qui se sont donné des matricules afin de les reconnaître officiellement comme inscrits, mais que ce sont les fonctionnaires canadiens qui les leur ont attribués lors de cet autre recensement effectué il y a environ un siècle dans ces îlots que sont les réserves, sans distinction d’origine, et en faisant abstraction des précédents exercices.

Ces îlots fédéraux régis par la « Loi sur les Indiens » sont ces micro-milieux où s’appliquent d’abord de façon structurée le système fédéral d’attribution du statut d’Indien dès la naissance, tant en fonction de la lignée paternelle que maternelle, cette dernière n’ayant toutefois été reconnue de façon rétroactive qu’en 1985.

N’ayant été effectués que dans les réserves, les recensements visant à n’inscrire que les Indiens ont largement eu pour effet d’éliminer virtuellement nombre d’Indiens dont les descendants revendiquent aujourd’hui d’être officiellement reconnus comme tels ou à titre de métis, malgré des registres publics inexacts, imprécis ou volontairement « muets » ; d’où les imbroglios quant à leur soi-disant autoproclamation par rapport au statut légal des inscrits.

La Beauce abénakise

Il était par ailleurs inopportun de laisser planer des doutes sur l’affirmation de gens qui soutiennent à raison le fait qu’ils ont une forte empreinte autochtone, tant par le sang que par la culture, comme c’est nettement le cas quant au caractère aborigène de Saint-Victor-de-Beauce, village où, il y a quelques décennies, on aurait pu se croire en plein territoire autochtone sans qu’on ait à se poser quelque question, soit à l’époque où les touristes européens cherchaient en vain de purs Indiens à Odanak.

Il ne serait pas étonnant d’apprendre que la famille abénakise qui a servi de modèle au sculpteur de la magnifique oeuvre de la « Porte du Sauvage » du Parlement de Québec, créée en hommage aux Abénakis lors de sa construction – devenue politiquement la « Porte de la famille amérindienne » – ait eu pour modèle une famille de cette localité.

Les journalistes qui ont signé le reportage diffusé par « Enquête » auraient eu grand intérêt à lire d’abord « Les Beaucerons, ces Insoumis » écrit par Robert Cliche et Madeleine Ferron, et à s’informer sur l’histoire des Abénakis d’Odanak qui, il y a plus de 100 ans, représentaient un modèle absolu d’avant-gardisme.

Cette œuvre prouve à elle seule que la Beauce était et est encore le pays des Abénakis : une région où nombreux sont les lieux, institutions et commerces affichant fièrement cette identité. Comme il n’y a pas de fumée sans feu, la conclusion va de soi.

Évolution et esprit d’ouverture

Sous quelque angle, la question autochtone ne peut être traitée de façon superficielle sans risquer de porter préjudice à qui est en cause. Quoi qu’il en soit, se définir uniquement par ses origines ne peut être que porteur de conflits, de discrimination, si la vision étriquée et les illusions que certaines personnes en ont ne correspondent pas à la réalité historique de notre évolution marquée par l’esprit d’ouverture qui nous distingue depuis toujours.

En 2018, la population d’Odanak – que le général Amherst avait tenté d’éliminer en 1759 pour son appui indéfectible au Régime français – était d’environ 450 habitants, soit 20 % du nombre d’Abénakis inscrits vivant au Québec, au Canada et aux États-Unis.

Signataires : Élise Boucher-DeGonzague, Guy O’Bomsawin, Hélène O’Bomsawin, Nicole O’Bomsawin, tous membres inscrits de la communauté abénakise d’Odanak29 janvier 2021