«Soyez désolés que la culture dans le sport est toujours ce qu’elle est», dit Jeanson

OTTAWA — «Soyez désolés que la culture dans le sport soit toujours ce qu’elle est aujourd’hui», a lancé lundi la cycliste Geneviève Jeanson aux élus fédéraux en comparaissant devant un comité qui se penche sur les risques auxquels s’exposent les femmes et les filles dans les milieux sportifs.

Durant son témoignage à Ottawa, l’ancienne athlète québécoise de haut niveau a détaillé les allégations d’abus et d’agression sexuelle à son endroit qu’elle dit avoir subis de la part de son ex-entraîneur André Aubut. Ces allégations n’ont pas été examinées par une cour de justice.

Geneviève Jeanson reproche aussi à M. Aubut de lui avoir administré de l’EPO à des fins de dopage sportif alors qu’elle n’était qu’une adolescente. Son ancien entraîneur a été suspendu à vie, en 2009, par le Centre canadien pour l’éthique dans le sport (CCES)pour avoir donné de l’EPO à la cycliste.

Celle qui est désormais coporte-parole de Sport’Aide, un organisme qui souhaite favoriser un environnement sain dans la pratique du sport, y est allée de ses recommandations aux membres du Comité permanent de la condition féminine.

«S’il vous plaît, ne me dites pas que vous être désolés de ce qui s’est passé. Être désolé ne changera pas le passé», a-t-elle affirmé d’emblée.

Elle a invité les députés à s’indigner «que les choses ne bougent pas assez vite pour protéger les athlètes», demandant, du même souffle, des changements.

Selon Geneviève Jeanson, les athlètes et les entraîneurs devraient être éduqués «aussitôt que possible sur ce qui est un comportement acceptable et ce qui en est un inacceptable».

«L’éducation sur des questions d’intégrité devrait être obligatoire», a-t-elle ajouté.

La cycliste souhaite aussi la mise sur pied d’un système de traitement de plaintes qui soit complètement indépendant des fédérations sportives et qui ne soit pas uniquement accessible aux «athlètes d’élite».

«Je pense que la base, c’est d’avoir un comité indépendant qui va être capable de traiter les plaintes pour que ce soit un ‘’safe place’’ aussi pour tout le monde, pour les athlètes en particulier. Donc qu’on (soit) certains qu’en allant là, ce ne sera pas (…) le  »boys club » qui va tout le temps avoir un pied ou une main dans une autre fédération pour protéger sa fédération», a-t-elle soutenu en réponse à une question de la porte-parole bloquiste en matière de condition féminine, Andréanne Larouche.

Geneviève Jeanson a plaidé pour que pareil système de traitement des plaintes mène à des «conséquences» et des «sanctions» qui «soient les mêmes pour tous les sports».

Le gouvernement Trudeau «entièrement d’accord»

Questionnée sur cette demande de la cycliste, la ministre des Sports, Pascale St-Onge, a indiqué que le gouvernement fédéral était «entièrement d’accord» et a, dans cette veine, créé le Bureau de la commissaire à l’intégrité dans le sport (BCIS).

«(La commissaire) est indépendante des fédérations sportives et peut recevoir les plaintes individuelles concernant les abus et les mauvais traitements, faire des enquêtes, émettre des sanctions (ainsi que) faire des évaluations sur la culture dans un sport», a énuméré la ministre après avoir pris part à la période des questions.

Mme St-Onge assure agir rapidement sur ce dossier, notamment en révisant le cadre de financement des organisations qui touchent des fonds fédéraux pour ajouter, dans les accords, «de nouveaux critères» «pour qu’il y ait plus d’imputabilité dans le système».

«Tout ça va être annoncé d’ici au mois d’avril 2023, donc on travaille très rapidement parce qu’on est préoccupés par les histoires qu’on entend et il faut que ça change», a-t-elle insisté.

Geneviève Jeanson a aussi raconté que, dans son cas, des consœurs lui avaient confié, après qu’elle eut dénoncé publiquement, dans plusieurs médias, les agissements reprochés à André Aubut, que ces dernières se doutaient qu’elle vivait une situation difficile avec son entraîneur de l’époque.

Ces autres cyclistes lui ont dit, a-t-elle affirmé, qu’elles avaient vu une Geneviève Jeanson qui n’était «plus la même personne», mais qu’elles avaient eu peur, en parlant, de «faire en sorte que (l’athlète) ne gagne plus» dans sa discipline.

«Ce que vous nous dites finalement, c’est que les gens autour de vous (…) ont tous gardé le silence ou qu’ils n’ont pas posé de questions pour ne pas vous faire plus de tort, mais pourtant on (a senti que) (…) vous avez été complètement isolée et abandonnée», a dit la députée conservatrice Dominique Vien dans un échange avec Mme Jeanson.

«Donner une chance» au BCIS

Les députés de tous partis confondus ont remercié la cycliste de partager son récit et ont tous semblé ouverts à ses recommandations.

«C’est épouvantable d’entendre ça aujourd’hui», a déclaré la députée Vien.

L’élue néo-démocrate Leah Gazan a renchéri que, malheureusement, des récits comme celui de Geneviève Jeanson n’ont rien de nouveau. Les membres du comité parlementaire ont aussi entendu d’autres histoires entourant des abus dans le sport avec les témoignages de Jennifer Fraser, autrice et conseillère pédagogique, ainsi que Wendy Glover, enseignante au secondaire et consultante en développement des athlètes.

«Il y a eu des documentaires durant des années sur le sujet et des gens ont juste détourné les yeux et permis aux abus d’arriver», a déploré Mme Gazan.

Marie-Claude Asselin, cheffe de direction au Centre de règlement des différends sportifs du Canada – dont l’une des divisions est le nouveau BCIS -, a défendu l’organisation.

«Il est injuste de ne pas lui donner une chance. C’est bâti sur des bases solides», a-t-elle soutenu devant le même comité

Elle a néanmoins convenu que l’initiative comporte ses limites. «Ce serait certainement bénéfique d’avoir de plus grands pouvoirs tels que celui d’assigner à comparaître, celui du droit de maintenir un registre public de sanctions et celui de l’immunité de ses professionnels.»

Mme Jeanson a dit espérer pouvoir être un vecteur de changement. «Ce que j’ai vécu, il ne faut pas que ça se reproduise. C’est certain. Si je peux être un exemple de quoi ne pas faire, je pense que c’est aussi bon qu’être un exemple de quoi faire», a-t-elle résumé.

Elle a souligné que son histoire s’est produite avant que le mouvement de dénonciation «Me Too» ne survienne, mentionnant que ce n’est qu’en 2021, après avoir entendu de nombreux témoignages d’abus dans le sport, qu’elle a «décidé de partager l’étendue complète de son expérience d’abus».

Elle a raconté ne pas avoir été prête à prendre la parole avant cela puisque cela lui était encore trop associé à un sentiment de honte.

– Avec des informations de Michel Saba, à Ottawa, et de Lori Ewing, à Toronto