Des athlètes se sentent muselés par leur entente avec leur fédération

La crainte des athlètes de subir des conséquences s’ils parlent des problèmes qu’ils voient dans leur sport est l’une des raisons derrière la crise de sécurité dans l’univers sportif canadien.

Afin de recevoir annuellement un peu plus de 21 000 $ en fonds de la part de Sport Canada, les athlètes olympiques doivent signer des contrats avec leur fédération sportive. Ces contrats contiennent des clauses qui demandent aux athlètes de faire attention à ce qu’ils disent.

S’il ne s’agit pas tout à fait de clause de confidentialité, ces clauses ont néanmoins l’effet de décourager les athlètes à prendre la parole.

«Je vois ça comme une forme de manipulation», a dit un vétéran olympien dont le contrat contient une telle clause.

«Votre voix pourrait ne jamais être entendue. Ça donne le contrôle à la fédération. C’est ce qu’ils ont envers vous. (…) Ça va à l’encontre des principes de sécurité dans le sport selon lesquelles vous devez avoir une voix et être entendue si les choses ne sont pas correctes.»

Dans les contrats de 2022-23 des athlètes membres de la Patinage de vitesse Canada, on retrouve une clause disant qu’ils «ne doivent pas discréditer ou faire mauvaise publicité envers eux-mêmes ou la fédération, directement ou indirectement via des publications, des commentaires, des partages, des mentions ‘j’aime’ ou toute association sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Twitter, etc.) ou toute autre plateforme en ligne (site web, blogues, baladodiffusions, etc.), ou via des commentaires auprès de membres des médias.»

Patinage de vitesse Canada a affirmé que cette clause existait autant pour protéger les athlètes que la fédération.

«Il y a une clause dans nos ententes avec les athlètes, signées par les athlètes du programme national chaque année, qui est conçue pour refléter les besoins de notre code de conduite pour tous les participants concernant les commentaires ou critiques effectués d’une manière constructive», a dit Patinage de vitesse Canada dans une déclaration.

«Cela s’applique non seulement pour les commentaires au sujet de la fédération, mais aussi tout commentaire négatif ou irrespectueux (contre un coéquipier, un rival, un partenaire, etc.) qui pourrait avoir un impact sur la réputation des athlètes et leur position comme modèle au sein de la communauté sportive.

«Les ententes avec les athlètes ne les empêchent pas de parler de leurs expériences dans le sport ou ne requièrent pas une confidentialité de l’athlète (sauf en ce qui concerne des informations privées).»

Curling Canada demande dans son entente avec les athlètes «d’éviter toute action ou tout comportement qui pourrait (selon la direction du programme national) affecter négativement l’image du programme national, Curling Canada ou le Canada».

Colin Hodgson, qui a récemment accroché son balai, a affirmé que cette clause donnait essentiellement tout le pouvoir à Curling Canada de juger un athlète et de lui potentiellement retirer son financement.

«Ces mots font peur aux athlètes. Au curling, et dans de nombreux autres sports, les athlètes ne font pas beaucoup d’argent. Si vous perdez une source de financement, ça peut vous empêcher de participer à certaines compétitions.»

La cheffe de la direction de Curling Canada, Katherine Henderson, a fait écho aux arguments de Patinage de vitesse Canada.

«Nous avons ces clauses en place parce que nous avons des partenaires au sein des gouvernements et dans le monde corporatif qui investissent dans ces athlètes et qui, tout comme nos athlètes, doivent en tenir compte, les respecter et les protéger», a dit Henderson dans une déclaration.

La ministre canadienne du Sport, Pascale St-Onge, a affirmé l’an dernier que ces clauses étaient contradictoires «au principe même d’un sport sécuritaire». Elle n’a toujours pas utilisé son pouvoir pour les éliminer.

«Des ententes de confidentialité ne peuvent pas museler les athlètes qui souhaitent rapporter des cas d’abus ou de mauvais traitement dans le sport», a répété Mme St-Onge dans une déclaration envoyée à La Presse Canadienne, mercredi.

«Nous cherchons présentement des solutions pour mieux gérer ces ententes de confidentialité.»

L’association des athlètes des équipes nationales canadiennes a récemment offert un gabarit d’une entente sans clause décourageant la prise de parole. Ce gabarit a été approuvé par le ministère et a été présenté à plus de 60 fédérations sportives nationales.