Frank Sylvestre fait fi de la controverse et continue de présenter sa pièce

MONTRÉAL — Un spectacle de marionnettes pour enfant qui a fait l’objet d’une vive controverse en février continue d’être présenté dans la région de Montréal.

Plusieurs organisations noires ont critiqué la pièce — L’incroyable secret de barbe noire — parce que la marionnette utilisée par l’artiste leur rappelait les spectacles de jadis présentés par des acteurs blancs qui se noircissaient le visage.

Ces critiques ont surpris l’auteur du spectacle, le conteur Franck Sylvestre, un Noir. Il se défend en disant que la marionnette controversée représente une caricature de lui-même. Selon lui, ses détracteurs n’auraient pas jugé qu’elle était raciste s’ils avaient vu le spectacle.

M. Sylvestre dit n’avoir aucune intention de modifier sa marionnette. Il n’accepte pas l’idée qu’il ne peut pas créer la caricature d’une personne qui est Noire parce que des racistes ont créé des caricatures de Noirs dans le passé.

«C’est du jamais vu pour un artiste», lance-t-il.

Une présentation de la pièce avait été annulée à Beaconsfield après les plaintes de groupes noirs. À Pointe-Claire, elle est demeurée à l’horaire, même si les autorités l’ont retiré de la programmation officielle du Mois de l’histoire des Noirs. Elle sera présentée à compter de dimanche à Laval. M. Sylvestre doit ensuite s’envoler pour une tournée en France. La pièce y sera présentée au moins 30 fois.

La pièce a été écrite en 2009. Elle vise les enfants âgés de cinq à neuf ans. M. Sylvestre dit qu’il n’avait jamais reçu de plainte à son sujet avant février.

L’auteur cherche à raconter l’histoire d’un jeune Martiniquais venu s’installer à Montréal — Franck Sylvestre est originaire de cette île des Caraïbes — à la demande de son grand-père mourant. Celui-ci demeure hanté par un mystérieux coffre de bois qui aurait des liens avec le pirate Barbe-Noire.

Max Stanley Bazin, président de la Coalition noire du Québec, décrit la marionnette comme étant «très, très, très, laide». Il craint que cette représentation d’un Noir cause des blessures émotionnelles à un jeune auditoire.

«Elle aura des effets sur eux. Elle aura des effets sur l’esprit des jeunes qui la verront. Et c’est à ça qu’on doit réfléchir.»

M. Bazin soutient que les gens sont plus prêts à dénoncer le racisme qu’ils ne l’étaient en 2009. Selon lui, M. Sylvestre devrait se mettre à l’écoute de sa communauté et remplacer la marionnette par une création moins controversée.

«S’il existe des gens qui disent que cela n’est pas bien, on doit réagir.»

Philipe Howard, un professeur à l’Université McGill,  ne peut jurer que la marionnette est un exemple de «blackface», mais l’enjeu n’est pas là.

«C’est vraiment une question de représentation et de l’utilisation potentielle de représentations monstrueuses et grotesques des Noirs comme sources de divertissement et même d’humour», dénonce-t-il.

Selon lui, les intentions de l’artiste sont moins importantes que les répercussions d’un spectacle sur un auditoire.

«Un grand nombre de personnes réagissent et disent qu’elles n’aiment pas ça, qu’elles ne jugent pas ça bien et qu’elles sont particulièrement troublées à ce sujet pendant le Mois de l’histoire des Noirs».

M. Sylvestre soutient que plusieurs des gens qui l’ont critiqué n’ont même pas vu la pièce.

«C’est à la communauté de constater l’objectif de ces caricatures. Dénigrent-elles les Noirs, à l’instar du blackface? Ou, comme c’est mon cas, les élèvent-elles? Selon moi, la marionnette est un personnage fort. Et quand je l’ai créée, je me suis inspiré de moi-même.»

Il compare sa marionnette nommée Max à «un grand sage» dont les interventions permettent une heureuse conclusion à l’histoire.

«Max, c’est la voix de la raison, celle qui nous conseille, celle qui se moque de moi quand je prends une mauvaise décision, celle qui est au-dessus de moi.»

Cheryl Thompson, de l’Université Toronto Metropolitan, qui avoue ne pas aimer la marionnette, dit qu’un artiste doit être prêt à discuter de ses choix avec le public, surtout si son histoire est différente de la leur.

«Pourquoi cette personne n’essaie-t-elle pas au moins d’entendre les voix des gens dont l’expérience est différente de la sienne?»