Chantel Moore a reçu deux balles dans la poitrine, dit un pathologiste à l’enquête

FREDERICTON — Chantel Moore, l’Autochtone de 26 ans tuée par la police au Nouveau-Brunswick en juin 2020, a reçu deux balles dans la poitrine, une autre dans l’abdomen et une quatrième dans la jambe gauche, a déclaré mercredi le pathologiste qui a pratiqué l’autopsie.

Le pathologiste Marek Godlewski a témoigné mercredi au troisième jour de l’enquête de la coroner sur la mort de Mme Moore. Le médecin légiste a confirmé aux jurés qu’elle était morte des suites de blessures par balles.

Mme Moore a été tuée par un policier d’Edmundston le 4 juin 2020, lors d’un «contrôle de bien-être»; la police a soutenu qu’elle s’était avancée vers l’agent en tenant un couteau. Le docteur Godlewski a détaillé les points d’entrée de chaque balle et les dommages qu’elles avaient causés, notant que trois des quatre balles avaient été récupérées.

À deux reprises au cours du témoignage de mercredi matin, la mère de Chantel Moore, Martha Martin, est devenue émotive et a dû être aidée pour sortir de la salle d’audience, à Fredericton.

Le toxicologue médico-légal James Wigmore a déclaré de son côté mercredi à l’enquête que Mme Moore avait l’équivalent de cinq bières dans son organisme lorsqu’elle a été tuée, ajoutant qu’elle n’aurait montré aucun signe sérieux d’intoxication. Il a par ailleurs ajouté que le rapport de toxicologie ne montrait aucune trace de drogue dans l’organisme de Mme Moore.

Mardi, l’agent Jeremy Son, le policier d’Edmundston qui avait tiré sur Mme Moore, a indiqué qu’elle dormait sur un canapé à l’intérieur de son appartement lorsqu’il a frappé à la fenêtre et l’a réveillée, vers 2 h 30 cette nuit-là. Il a raconté qu’il avait été dépêché chez elle à la suite d’un appel de l’ex-ami de coeur de Mme Moore. Cet homme a dit à la police qu’il avait reçu des textos troublants qui semblaient provenir de quelqu’un qui l’avait peut-être harcelée.

Le policier Son a déclaré aux jurés que Mme Moore avait semblé se saisir de quelque chose de métallique avant de s’approcher de la porte. Il a raconté qu’elle était sortie de l’appartement, sur le balcon du troisième étage, avec un couteau en main et l’air en colère. Le policier soutient qu’elle s’est avancée vers lui et il a reculé en lui disant de laisser tomber le couteau, ce qu’elle n’aurait pas fait. C’est là qu’il a tiré quatre coups de feu de suite avec son arme de poing.

On a demandé à l’enquête mercredi au toxicologue Wigmore si la quantité d’alcool dans l’organisme de Mme Moore aurait pu affecter sa compréhension de l’injonction du policier, qui lui demandait de laisser tomber le couteau. Il a répondu que son temps de réaction «pouvait être retardé, mais pas de manière significative». 

L’enquêteur du BEI

La fusillade avait fait l’objet d’une enquête menée par le Bureau des enquêtes indépendantes du Québec (BEI). François Coiteau, l’enquêteur principal dans ce dossier, a expliqué aux jurés que le BEI avait recueilli des preuves, mais qu’il n’avait tiré aucune conclusion ou formulé de recommandation aux procureurs du Nouveau-Brunswick. «Nous ne tirons jamais de conclusions ni ne faisons de commentaires», a déclaré M. Coiteau à l’enquête, mercredi.

Après le dépôt du rapport d’enquête du BEI, les Services des poursuites publiques du Nouveau-Brunswick ont annoncé en juin 2021 que le policier Son, cette nuit-là, «avait des motifs raisonnables de croire que la force ou une menace de force était utilisée contre lui par Mme Moore, qu’il a tiré sur elle dans le but de se défendre ou de se protéger, et que ses actions étaient raisonnables dans les circonstances». Les procureurs ont donc conclu qu’il n’y avait aucune «perspective raisonnable» de faire condamner le policier.

M. Coiteau a déclaré mercredi que son équipe n’était pas en mesure de déterminer la distance qui séparait l’agent Son et Mme Moore au moment de la fusillade. Le couteau a été examiné pour retrouver des empreintes digitales, a déclaré l’enquêteur, ajoutant que seules trois empreintes partielles avaient été trouvées et qu’elles n’étaient pas concluantes.

La Commission de police du Nouveau-Brunswick avait également ouvert une enquête à la suite de plaintes contre l’agent Son, en août 2020, alléguant qu’il avait utilisé son arme à feu de manière inappropriée et abusé de son autorité.

Jean-René Lévesque, un enquêteur de la Commission de police, a rappelé mercredi que l’agent Son avait été blanchi des accusations. M. Lévesque a présenté plusieurs vidéos produites lors d’une reconstitution de la nuit de la fusillade. Il a indiqué qu’il ne croyait pas que Mme Moore aurait pu comprendre, dans le noir, que l’agent Son était en fait un policier.

L’enquête de la coroner a entendu mercredi comme dernier témoin de la journée Alain Lang, qui a pris sa retraite le mois dernier en tant que directeur de la Force policière d’Edmundston. Il a déclaré que le corps policier municipal n’avait qu’un seul pistolet à impulsion électrique Taser fonctionnel en juin 2020. Il a ajouté qu’il en avait commandé plus tard suffisamment pour que cinq unités de travail puissent en disposer en même temps.

M. Lang a expliqué que tous les policiers reçoivent une formation sur l’utilisation des armes à feu, des Taser, du gaz poivré et des matraques. Il a précisé que ce ne sont pas tous les policiers qui utilisent les Taser. «C’est un outil de travail. Ils ne sont pas obligés de le porter», a-t-il déclaré au jury.

Un dernier témoin devrait être appelé jeudi à l’enquête de la coroner. Le jury devrait ensuite faire des recommandations visant à prévenir de futurs décès dans des circonstances similaires.