Gentilly-2 : un ingénieur à la retraite fait le point
Henri Bordeleau a travaillé pratiquement toute sa vie dans le nucléaire parce qu’il a l’intime conviction qu’il s’agit de la façon la plus propre de produire de l’énergie de façon massive.
L’ingénieur à la retraite est très déçu de tout ce qui a pu se dire lors de la manifestation «Plus jamais Fukushima» qui a eu lieu sur le Quai de Champlain le 11 mars dernier. Il l’est encore plus de la récente sortie du Dr Michel Duguay, qui prétend que le réacteur pourrait fondre advenant un séisme «significatif» se situant entre 5 et 7.
«Il dit que c’est l’accélération de la croûte terrestre qui peut s’avérer dangereuse, mais il ne peut pas y avoir d’amplification. Si le sol bouge, le réacteur va bouger à la même vitesse parce qu’il est ancré dans le sol, assure M. Bordeleau. Il y a amplification que lorsque c’est mal amarré, mais le réacteur est assis directement sur le roc».
«Quand il y avait eu un gros tremblement de terre en 1988 ou 1990, le réacteur n’a pas arrêté de fonctionner. Il y a eu quelques alarmes passagères, mais rien de significatif, rappelle-t-il. Après coup, les employés ont vérifié toutes les installations Il n’y a eu que quelques petites fissures qui ont été observées dans la piscine».
Des arguments alarmistes
Celui qui a travaillé à Gentilly-1, puis à Gentilly-2, entre 1974 et 2001, et comme consultant pour SNC-Lavalin Nucléaire par la suite, jusqu’à l’an dernier, défait un à un les arguments alarmistes des opposants.
«Les dégâts les plus graves à Fukushima n’ont pas été causés en soi par le tremblement de terre. Il ne faut pas se cacher qu’il a fait des dommages, mais il n’a pas entraîné à lui seul les conséquences qu’on connaît», nuance-t-il.
«C’est le tsunami qui a rendu indisponibles les dispositifs de refroidissement d’urgence. Un tel tsunami n’avait pas été prévu lors de la construction de cette centrale, explique Henri Bordeleau. Dans le cas de Gentilly-2, il est impossible qu’il y ait un tsunami. Il n’y a pas assez d’eau dans le fleuve».
«Quand nous construisons une centrale nucléaire, on nous demande d’évaluer tous les scénarios possibles et imaginables. Les deux tiers des coûts de construction sont consacrés à ça», indique le Gentillois.
«Le pire qui pourrait nous arriver, c’est que le barrage Gouin cède en Haute-Mauricie. Comme la Vallée du St-Laurent est plutôt basse, on évaluait que l’eau pourrait se rendre jusqu’à la voie ferrée du parc industriel. C’est pourquoi une digue a été construite autour de la centrale pour prévoir un incident similaire».
Une attaque terroriste ?
«Même si un terroriste entrait dans une centrale : que peut-il faire ? Il se brûlerait en tentant de s’emparer du combustible, rigole-t-il. Un avion qui foncerait sur le réacteur se désintégrerait, parce qu’il n’a pas la densité nécessaire pour causer des dommages aux murs. Même un obus ne réussirait pas à y pénétrer».
«On n’a pas idée de la solidité des murs, ajoute M. Bordeleau. Ils ont entre un et deux mètres d’épaisseur et il y a tellement d’armatures qu’on ne pourrait même pas y passer un poing».
Une erreur humaine ?
«Dans le cas de Three Mile Island et de Tchernobyl, les opérateurs n’ont pas déclenché l’arrêt d’urgence parce qu’ils n’ont pas cru que les températures étaient aussi élevées dans le réacteur, raconte l’ingénieur. Au Canada, tous les réacteurs ont été conçus avec des automatismes pour ne pas que quelqu’un puisse interrompre les systèmes de refroidissement d’urgence».
La radioactivité ?
«Des tests ont été faits sur les fourrages, le lait, les légumes, les poissons et les vases dans le fond du fleuve. On n’a jamais noté une augmentation de la contamination, assure-t-il. On dit même que l’air qui sort de la centrale est plus propre que celle qui y entre».
Les déchets radioactifs ?
«L’avantage, c’est que c’est minime, la place que peuvent prendre les déchets radioactifs, commente-t-il. Si c’est du charbon que nous avions brûlé depuis le temps qu’on produit de l’énergie, tout le site de Gentilly-2 serait enseveli par des montagnes de résidus. Ce serait la même chose avec du pétrole, mais en plus, les cendres seraient encore actives».
«Le combustible usé émet très peu de radiations et il est entouré de trois gaines de métal. Quand il sort, il est mis dans un contenant en acier qui est soudé et scellé, puis dans un tube scellé par un bouchon et avant d’être coulé dans un massif de béton», explique l’ingénieur à la retraite.
Henri Bordeleau a même participé à plusieurs recherches et il est bien au fait de celles qui se poursuivent pour déterminer une aire de stockage ultime pour les déchets nucléaires. «Ça se transporterait par camion, par train ou par bateau en plaçant les déchets dans des «châteaux de plomb», c’est-à-dire des conteneurs faits d’un acier blindé de plomb», divulgue-t-il.
«Des simulations ont été faites pour différents scénarios. Dans le cas d’une collision sur la route, le conteneur tomberait sur le côté et ne se déformerait même pas. Ils ont même fait entrer une locomotive tirant un wagon à pleine vitesse dans un mur : le conteneur a un peu tordu, mais il a conservé son intégrité. Le contenu, lui, est resté intact».
Protéger son emploi ?
Si Henri Bordeleau a accepté de nous parler, c’est que son statut de retraité lui confère une liberté de parole qu’il n’avait pas, dit-il, lorsqu’il était à l’emploi d’Hydro-Québec.
«On nous accuse souvent de vouloir protéger nos emplois, mais pourquoi est-ce qu’on accepterait de travailler là si on sentait que notre vie est en danger?», questionne-t-il.