Gaz de schiste: aucune autorisation n’a encore été délivrée

ENVIRONNEMENT. Québec n’a pas encore délivré d’autorisations à une société albertaine qui veut relancer l’aventure des gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent.

Cependant les organisations écologistes soupçonnent l’entreprise en question, Questerre, d’attendre simplement la mise en place de réglementations favorables à venir avant de passer à l’action. En effet, le projet de loi 102 actuellement à l’étude permettrait au ministre de l’Environnement d’autoriser des projets-pilotes, s’il est adopté.

Or dans un communiqué diffusé la semaine dernière, Questerre a fait savoir qu’elle jaugeait le potentiel de ses gisements dans les régions de Bécancour et Lotbinière, en vue de lancer des projets-pilotes. 

L’entreprise, qui possède des droits sur des superficies totalisant 1 million d’acres, soutient que seules ces deux municipalités régionales de comté (MRC) sont susceptibles d’être considérées pour des projets-pilotes en vertu de certains facteurs, tels que la densité de population, la possibilité de mettre en oeuvre de nouvelles technologies pour faire face à des enjeux environnementaux, ainsi que l’acceptabilité sociale.

Cependant, le ministère de l’Environnement a fait savoir lundi à La Presse canadienne qu’aucune demande d’autorisation ou requête de quelque nature que ce soit n’avait encore été acheminée par Questerre.

Dans une entrevue téléphonique, la porte-parole du ministre David Heurtel, Émilie Simard, a laissé entendre que Questerre devrait normalement s’adresser au ministère pour procéder à des travaux, peu importe leur nature, que ce soit du déboisement ou de l’excavation.

Les opposants à l’industrie des gaz de schiste, Grenpeace Canada et le Regroupement Vigilance Hydrocarbures Québec (RVHQ), ne rapportent actuellement aucune activité visible dans les MRC visées.

Néanmoins, ils estiment que Questerre attend tout simplement des règles plus favorables concoctées par le gouvernement Couillard qui seraient mises en place bientôt, entre autres l’entrée en vigueur des règlements associés au projet de loi 106, adopté sous bâillon en décembre, qui encadre l’exploitation des gaz de schiste, dont la fracturation hydraulique.

L’entreprise évoque en effet un «développement» qui serait «conditionnel à l’adoption de lois applicables en matière d’environnement et d’hydrocarbures», conditionnel aussi à «l’acceptabilité sociale».

Et de surcroît, Greenpeace craint l’effet du projet de loi 102, qui faciliterait la réalisation de projets-pilotes en permettant au ministre de l’Environnement de délivrer une «autorisation à des fins de recherche et d’expérimentation».

«J’ai l’impression que (Questerre) attend le projet de loi 102 avant de déposer sa demande», a affirmé Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie à Greenpeace, en entrevue téléphonique lundi.

«L’entreprise attend que tous les morceaux du casse-tête soient en place. Ils vont adapter la demande pour qu’elle cadre avec ce que permet la (future) loi», a-t-il ajouté.

Selon M. Bonin, même si on qualifiait de projet-pilote les activités prévues par Questerre dans Lotbinière et Bécancour, cela resterait néanmoins une phase d’exploration qui pourrait impliquer de la fracturation hydraulique, un procédé controversé d’extraction des hydrocarbures. Et l’exploration vise à faire une exploitation à grande échelle, assure Greenpeace.

«Ils vont faire de l’exploration, c’est la même chose, c’est simplement la manière de la présenter qui va changer. Mais ce serait plus difficile pour le gouvernement de refuser l’attribution d’un certificat d’autorisation», a-t-il dit.

Appelée à préciser la portée des projets-pilotes que pourrait autoriser le gouvernement, l’attachée de presse du ministre David Heurtel a voulu minimiser l’effet des autorisations qui pourraient être accordées, si le projet de loi est adopté.

«Une telle autorisation viserait à évaluer la performance environnementale d’une nouvelle technologie ou d’une nouvelle pratique, a-t-elle répondu par courriel. Il s’agirait d’une autorisation très encadrée. Par exemple, un protocole d’expérimentation décrivant la nature, l’ampleur et les objectifs visés par le projet devra accompagner la demande. Les impacts appréhendés sur l’environnement devront être identifiés ainsi que les mesures de protection de l’environnement et de suivi de ces impacts. Des rapports périodiques auraient à être transmis par le ministère. De plus, les objectifs escomptés seraient pris en compte. Ce type d’autorisation aurait une durée limitée.»

Une demande d’entrevue a aussi été transmise à la MRC de Lotbinière, mais le directeur général, Stéphane Bergeron, n’était pas disponible pour répondre aux questions.  

Questerre n’a pas donné suite aux demandes d’entrevue téléphonique et aux courriels de La Presse canadienne.

La semaine dernière, le RVHQ, qui regroupe 130 comités de citoyens, a fait savoir que la résistance s’organisait et qu’il entendait contrecarrer les projets éventuels de Questerre.

Selon l’organisation, l’industrie des gaz de schiste ne recueille aucune acceptabilité sociale dans Lotbinière et Bécancour. Les citoyens s’inquiètent en effet de «tous les aspects» de cette industrie, a souligné la porte-parole du RVHQ, Carole Dupuis. Elle a évoqué les liens entre les techniques non conventionnelles d’extraction des gaz de schiste, comme la fracturation hydraulique, et la contamination de l’eau potable, en citant plusieurs études.

Rappelons qu’au début des années 2010, sous le gouvernement Charest, les activités des entreprises pétrolières qui se lançaient dans la ruée vers les gaz de schiste dans les basses terres du Saint-Laurent avaient provoqué une levée de boucliers, des manifestations et des affrontements. Leurs activités suscitaient beaucoup de craintes en raison du recours à la fracturation hydraulique.

Le gouvernement péquiste de Pauline Marois avait décrété un moratoire à son arrivée au pouvoir. Le projet de loi 106 adopté en décembre dernier par le gouvernement Couillard contient des dispositions sur le forage par fracturation hydraulique, mais il reconduit aussi la Loi limitant les activités pétrolières et gazières, qui suspend notamment l’obligation imposée aux entreprises de faire des activités sur les zones où elles ont obtenu des droits.

En septembre dernier, le premier ministre Philippe Couillard avait par ailleurs déclaré qu’«il n’y aura pas» de fracturation hydraulique dans la vallée du Saint-Laurent.

Patrice Bergeron, La Presse canadienne