De nombreuses inquiétudes à l’échelle provinciale

QUÉBEC. Les intervenants qui défilent devant la Commission de la santé et des services sociaux à l’Assemblée nationale depuis le début des auditions liées au projet de loi 10 craignent que la réforme Barrette nuise au système de santé. Plusieurs des inquiétudes récemment partagées à L’Express par des intervenants locaux (à lire ici) se font aussi sentir à Québec. Le journal propose donc à ses lecteurs un résumé des doutes énoncés jusqu’à présent.

L’opposition

La porte-parole de l’opposition officielle en matière de santé et d’accessibilité aux soins, Diane Lamarre, déplore que le ministre de la Santé ait déposé un projet de loi sans aucune consultation externe. «On parle d’un projet qui est centré sur le patient. Cent quatre fois le mot "ministre" apparaît dans le projet, aucune fois le mot "patient"», a-t-elle fait remarquer au tout début des auditions publiques.

Les médecins spécialistes

«D’abord, comme commentaire général, est-ce que chaque nouveau gouvernement, voire chaque nouveau ministre de la Santé se doit de faire subir une réforme importante du réseau de la santé? Le réseau de la santé du Québec a subi de profondes transformations depuis plus de 20 ans. Les médecins, les travailleurs du réseau de la santé ainsi que nos patients ont tous eu à subir les contrecoups de ces transformations successives. Doit-on à nouveau les affliger d’une nouvelle réforme?» a d’abord questionné la présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, Diane Francoeur.

Celle-ci déplore que le projet de loi 10 remette en question l’organisation locale des soins de santé et concentre entre les mains d’une seule personne, le ministre de la Santé et des Services sociaux, une gamme de pouvoirs et de responsabilités hors du commun. «Dans ce contexte, nous lançons un appel à la prudence et à la nécessité de nous donner un temps d’analyse, de réflexion et de consultation acceptable avant d’adopter une telle réforme», a-t-elle ajouté.

Elle a rappelé qu’au cours des dernières années, la Fédération a milité en faveur de l’abolition des agences. L’objectif était d’abolir un palier décisionnel qu’elle jugeait superflu. Mme Francoeur a expliqué que la disparition de cette structure aurait donné une plus grande autonomie à chacun des établissements du réseau, lesquels sont les plus aptes à prendre des décisions visant à assurer l’organisation et la dispensation des soins à la population.

«Lorsqu’un médecin présentera une demande de privilège dans un établissement régional, dans quelle installation sera-t-il ou lui sera-t-il permis d’exercer? Le médecin aura-t-il à se déplacer d’une installation à l’autre? Si oui, de quelle façon et dans quelles conditions? Au cours des années, nous avons réussi à diminuer les pénuries et à assurer la couverture du vaste territoire québécois en rendant plus favorable la pratique en région. Les obligations que ce projet pourrait imposer vont-elles faire en sorte que les jeunes médecins n’oseront plus s’engager en région?» a-t-elle poursuivi.

Le Collège des médecins

«Comment concilier le fait que la gestion du réseau est très centralisée alors que la prestation des services est avant tout une affaire locale? La question se pose depuis la création du réseau d’autant plus que le réseau, couvrant à la fois les services de santé et les services sociaux, est immense», a de son côté questionné le président-directeur général du Collège des médecins, Charles Bernard.

Les médecins omnipraticiens

Le président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, Louis Godin, a exprimé ses réserves quant à la taille des futurs CISSS, la composition des conseils d’administration et les pouvoirs qui seront désormais dévolus au ministre de la Santé.

«Je ne vous cacherai pas qu’on est très préoccupés par la taille des CISSS, et pas simplement par le nombre de patients qu’ils auront à desservir et le nombre de professionnels qui travailleront à l’intérieur de ces futurs CISSS, mais également par la superficie géographique que certains de ces prochains établissements auront à couvrir», a indiqué M. Godin.

«On avait l’impression qu’on assisterait à l’élimination d’un palier. On se demande sincèrement si on n’assiste pas plus à une centralisation à l’intérieur des anciennes agences plutôt qu’à une décentralisation un peu en périphérie. Naturellement, on est préoccupés aussi de l’importance de ces changements-là et de tout ce que ça peut amener dans la période de transition ou de l’installation de ces nouvelles structures, sachant que, lors de la dernière réforme, il y a quelques années, on a eu à vivre, pendant trois à quatre ans, une certaine période de flottement dans l’installation de ces structures-là», a-t-il ajouté.

M. Godin voit aussi une augmentation importante du pouvoir du ministre, particulièrement lors de nominations, à la fois pour les conseils d’administration, les P.D.G. et les directeurs généraux adjoints. «On ne peut pas écarter le risque qu’il y a d’une politisation très importante du réseau de la santé. Naturellement, on pourrait se dire que, non, elle n’aurait pas lieu, mais il ne faut pas se cacher, il y a là un risque important.»

Un expert

À titre d’expert, Damien Contendriopoulos, de l’Université de Montréal, a indiqué que de façon «très, très, très convergente», les données scientifiques indiquent que les avenues législatives qui sont mises de l’avant dans le projet de loi ne produiront pas les résultats escomptés.

«La totalité des études indiquent que les processus de fusions administratives entraînent une hausse des coûts, et, quand il y a une tentative de contrôler, de façon très stricte, les coûts en étranglant les budgets, ce qu’on voit, c’est qu’on a des organisations qui deviennent dysfonctionnelles», a-t-il fait savoir.

«Là où il y a une possibilité de gain par le biais des fusions, c’est dans le cas de fusions très verticales. Or, ce qui est mis de l’avant, dans le projet de loi, c’est essentiellement des fusions horizontales à grande échelle», a-t-il poursuivi.

Selon M. Contendriopoulos, à partir du moment où un processus de fusions administratives à très grande échelle est mis en place, l’attention des gestionnaires et des administrateurs est monopolisée. Il a ajouté que pendant ce temps, ils ne sont pas disponibles pour travailler à l’amélioration de la qualité, pour optimiser les processus de soins et pour développer des innovations qui sont susceptibles d’améliorer la qualité. «Encore une fois, les données sont unanimes; les processus de fusions administratives sont des processus dans lesquels la qualité des soins dans les institutions concernées est mise en danger. Et de façon générale, on voit une diminution de la qualité.»

La protectrice du citoyen

La protectrice du citoyen, Raymonde Saint-Germain, est d’avis que la disparition d’un palier décisionnel, celui des agences, permettra de mettre fin au chevauchement des responsabilités qui existe actuellement entre le ministre, les agences et les établissements. Elle a par ailleurs invité le ministre à la prudence en indiquant que les experts s’entendent pour estimer à environ un demi-million d’habitants, le seuil maximal au-delà duquel la planification et la coordination des services deviennent moins efficaces.

Les fondations

Le président du conseil d’administration de l’Association des fondations d’établissements de santé du Québec (l’AFÉSAQ), Roger S. Gibb, a dit craindre que les changements annoncés effritent le sentiment d’appartenance d’une communauté à son hôpital.

«Ce sentiment développe la responsabilité de soutenir (l’hôpital) par les dons des particuliers et les entreprises, d’où découle l’engagement de nombreux bénévoles et le développement de partenariats avec la fondation de l’hôpital et des établissements du secteur de services sociaux.»

M. Gibb a par ailleurs demandé à que les équipements acquis dans le passé par un financement d’une fondation demeurent affectés à leurs lieux actuels et au service des communautés qui les ont financés.

Les auditions se poursuivent à Québec jusqu’au 13 novembre.

(NDLR : Les interventions de chacun des intervenants ont été tirées du journal des débats de la Commission de la santé et des services sociaux, publié par l’Assemblée nationale.)