Cheminer de deuil en deuil

AIDE. Ils sont des centaines dans la région à être dans le même bateau, à braver la tempête ou à être portés par le courant ou le tourbillon que représente la proche aidance.

Serge Baron y a plongé à temps plein il y a une dizaine d’années, lorsqu’il a rencontré celle qui est devenue son épouse. Elle était maman d’un enfant atteint de déficience intellectuelle lourde, qu’il a adopté.

«Il a maintenant 23 ans, bientôt 24. Il a l’âge mental d’un enfant de cinq ans. Il présente des troubles graves de comportement; il est impulsif et imprévisible. Il ne peut pas rester seul. On l’a placé dans un endroit spécialisé il y a deux ans, et on le reçoit chez nous une fin de semaine sur deux.»

Pas évident de couper le cordon: «C’est très dur de placer son enfant. Ma femme ne travaillait pas pour pouvoir s’occuper de son fils. Quand il a été placé, elle a déprimé. Elle a eu un deuil à faire, car en tant que parent, on se dit toujours que c’est de notre devoir de garder notre enfant avec nous. Mais on n’en était plus capable physiquement», poursuit le résident de Saint-Léonard-d’Aston.

Monique Pinard, de Nicolet, apprend quant à elle à vivre avec la maladie de son mari, atteint de Parkinson avec démence à corps de Lewy,  un des troubles cognitifs les plus difficiles à traiter. «Ça atteint la partie frontale du cerveau, dit-elle. Il reste assez conscient des grands moments, mais il a aussi beaucoup d’hallucinations.»

Son état de santé a obligé le couple à déménager en résidence intermédiaire, mais dans des ailes différentes. Depuis quelque temps, elle doit éviter d’aller le voir. «Il a plus d’hallucinations quand je vais le voir. Il n’y a pas grand-chose à comprendre de tout ça; c’est difficile.»

Claude Houle, de Saint-Wenceslas, a aussi vu l’état de santé de son épouse se dégrader au fil des ans. C’est la sclérose en plaques qui a fait des ravages. «Elle a reçu son diagnostic à l’âge de 25 ans. Aujourd’hui, elle en a 63. J’ai dû la placer en résidence il y a un peu plus de deux ans. J’étais à bout de souffle.»

Une étape difficile, puisque sa douce s’y opposait farouchement. «Au début, j’ai presque regretté de l’avoir fait. J’avais l’impression d’avoir plus de problèmes qu’avant. Elle était de mauvaise humeur; ça allait mal. Pendant des mois, elle appelait, elle pleurait. Aujourd’hui, c’est mieux parce qu’elle s’est fait des amis à la résidence. Je vais la chercher le dimanche et on dîne avec les enfants et les petits-enfants. Je trouve ça important.»

Sournoise, la proche aidance…

Si, aujourd’hui, ces trois proches aidants semblent en paix avec leur situation respective, c’est non sans avoir passé par une période de culpabilité. Un sentiment généralisé chez les proches aidants qui prennent la décision de placer l’être cher, observe Véronique Mergeay, de l’Association des personnes proches aidantes de Bécancour-Nicolet-Yamaska.

«Ce n’est pas une décision facile, confirme-t-elle. Souvent, aux yeux des proches aidants, la seule bonne façon de faire les choses est de garder la personne à la maison, de s’en occuper et de se dévouer. Or, ce n’est pas nécessairement le cas. On doit leur faire comprendre qu’il n’y a pas qu’une seule façon d’aider.»

Placer la personne en est une autre, dit-elle: «Ça lui permet d’avoir les bons soins dont elle a besoin. En même temps, l’aidant continue d’être présent et de s’en occuper, et il le fait dans un meilleur état d’esprit et de santé.»

«Mes enfants me disaient depuis longtemps de la placer, témoigne Claude Houle. Sa famille aussi. Je ne voyais pas les choses de la même façon. Ça m’a mené à la dépression.»

«Tu vis un grand deuil quand tu comprends que tu n’es plus capable, ajoute Monique Pinard. C’est épouvantable: tu sais ce dont l’autre a besoin, mais tu dois lâcher prise.»

«Ça crée un vide. C’est comme si, du jour au lendemain, on n’avait plus besoin de nous», renchérit Serge Baron.

Il y a aussi le regard des autres qui pèse lourd, souligne M. Houle. «On a peur d’être jugés.»

«Dans mon cas, plusieurs personnes pensent que parce qu’on est des parents, on n’est pas des proches aidants, illustre Serge Baron. C’est faux. Mon fils a besoin d’aide, au même titre qu’un père, une mère ou un conjoint en perte d’autonomie.»