Le cordonnier qui souhaite changer les mentalités

PIERREVILLE. Sur la route Marie-Victorin, en direction ouest vers Pierreville, on ne peut pas la manquer, l’affiche géante d’une botte qui annonce l’atelier du Fils du maitre cordonnier.

Ébéniste de formation, Guillaume Bussière a été entrepreneur général pendant 13 ans dans la région métropolitaine. « C’est un parcours atypique qui m’a amené à Pierreville. À 34 ans, j’ai réalisé que mon métier ne me rendait pas heureux. J’étais en épuisement professionnel, je n’étais plus capable de tenir la machine », révèle-t-il.  

Il a décidé de revenir aux sources. Cette source, c’est le métier de cordonnier de son père duquel il s’était déjà un peu moqué, a-t-il avoué. « Mon père avait aménagé la cordonnerie au sous-sol de la maison familiale », raconte Guillaume. Jusqu’à l’âge de 15 ans, il a changé des semelles, aiguisé des patins, cousu des articles scolaires.

Toutefois, il ne se prétend pas encore cordonnier, mais plutôt en apprentissage de la cordonnerie. « C’est un métier que j’ai boudé toute ma vie! », révèle-t-il. Pourtant, il s’agit d’un précieux patrimoine familial, car il serait la quatrième génération de cordonnier chez les Bussière, originaires de Shawinigan.

« Quand j’étais à Montréal, j’étais très matérialiste. Je vivais dans le luxe. J’ai beaucoup critiqué mon père et le métier familial, car je voyais ce qu’il vivait comme défis au quotidien. D’avoir repris la cordonnerie de mon père, c’est un peu une façon de lui faire un clin d’œil et de lui dire : Papa, tu avais raison, c’est un bon métier. » D’ailleurs, quand Guillaume a annoncé à son père qu’il reprendrait le flambeau, il ne croyait pas du tout que ce dernier était sérieux!

« J’avertis bien les gens qui viennent chez moi que c’est la première fois que je vais faire telle ou telle chose, que je peux le faire au mieux, et que dans le pire des cas, s’ils ne sont pas satisfaits, je vais le reprendre sans frais », assure-t-il. Il y a même des gens qui participent aux réparations! D’anciennes couturières se ont utilisé les outils de Guillaume pour recoudre leur sac à main, par exemple. Il a aussi appris de ces dames, dans un échange communautaire. Dernièrement, il a aussi offert un atelier durant lequel les enfants ont réparé leurs propres souliers, en compagnie de leurs parents.

« Ici, on apporte une solution à tout problème! »

Le défi d’aujourd’hui est plutôt de faire connaitre la cordonnerie aux jeunes générations qui ont davantage le réflexe de jeter que de réparer.

Son père, quant à lui, a arrêté la cordonnerie après 55 ans de métier, à l’âge de 71 ans, heureux de voir tous les outils que son propre père lui a légués, trôner fièrement dans l’atelier de son fils. « J’ai aussi 55 ans de ramassage de boucles de ceinture et de fermeture éclair à trier! », lance-t-il en riant.

Au-delà de la cordonnerie

Ce n’est pas que pour devenir cordonnier que Guillaume Bussière s’est établi à Pierreville. Il souhaitait également apprendre le travail à la ferme, et ce, depuis longtemps.

À l’origine, Guillaume souhaitait démarrer une ferme communautaire en Amérique latine. Il a alors mis ses entreprises et sa propriété de Montréal en vente. « Finalement, à cause d’une femme, je suis resté au Québec et on s’est établi ici, à Pierreville. On a acheté en 2020. En 2022, on s’est malheureusement séparés. Cependant, le projet a continué, parce que c’est mon projet de vie », explique-t-il. C’est ainsi qu’est né FAB-ICI, un projet de microélevage écoresponsable, un rêve que caressait Guillaume depuis une quinzaine d’années.

Sur sa terre à Pierreville, Guillaume est parti de zéro et a tout construit de ses mains. « Ça m’a pris deux années sabbatiques pour venir à bout de faire le peu qu’il y a ici, avec un budget qui était quand même assez restreint », révèle-t-il. Son budget total : 30 000$, incluant la mise de fonds de la maison. « Il y a eu beaucoup de travail. Les gens ont mis la main à la pâte. Les voisins ont aidé énormément, assure Guillaume. Ça m’a beaucoup ému, car j’ai trouvé ma place ici! »

Tout comme pour son métier de cordonnier ou d’entrepreneur général, Guillaume Bussière n’a pas de diplôme spécialisé dans ces domaines d’activité. Il est un grand autodidacte et un grand travaillant. Il croit avoir été rapidement jugé par sa provenance ou par son apparence peu soignée lors de son arrivée, justifiée par sa guérison toute récente de sa dépression. « On a vu que je travaillais chaque jour, du matin jusqu’à tard la nuit. Puis, les gens sont commencés à venir m’offrir de petits boulots à gauche et à droite. J’avais ma ferme que je construisais, mais je me suis vite mêlé aux entreprises dans le coin. Ça m’a permis de tisser des liens et de bâtir la bonne réputation de Guillaume Bussière. »

Aujourd’hui, les gens sont les bienvenus pour aller nourrir les chèvres ou aller se chercher des œufs! L’année dernière, il a distribué 1,7 tonne de viande à la communauté de Pierreville et des environs, en dons ou en échange de services. « On n’est pas là pour avoir de l’argent, on est là pour changer les mentalités et aider les gens du coin », insiste-t-il.

Il collabore également avec le Centre Équilibre en offrant de la zoothérapie et de la présence animalière, que ce soit avec des jeunes qui ont des problèmes avec le trouble de l’opposition ou avec des femmes ou des hommes qui ont été victimes de violences conjugales ou de traumatismes sévères. Ce qui l’a attiré vers ce domaine d’expertise? L’humain.

Chez Le Fils du maitre cordonnier, ou chez FAB-ICI, la porte est toujours ouverte, peu importe ce que les gens recherchent. « Ils viennent tous chercher quelque chose de différent. Puis, de fil en aiguille, on peaufine l’offre de services et on s’adapte aux gens qui viennent. Il y a des gens qui viennent chercher la solitude. Il y a des gens qui viennent chercher de l’emploi. Il y a des gens qui viennent chercher une activité familiale à peu de frais. Il y a des gens qui viennent changer leur mentalité. Il y a des gens qui viennent chercher une certaine sérénité ou un certain calme, ou un endroit où il n’y a pas de jugement, où ils peuvent avoir une pause des regards de la société », énumère-t-il.

D’ailleurs, changer les mentalités, c’est un peu la mission qu’il s’est donnée, en déconstruisant les idées préconçues vis-à-vis le multiculturalisme, l’alimentation, les mères monoparentales, les gens qui bénéficient de l’aide sociale, les orientations sexuelles, etc. « Je n’ai pas de limite au point où je peux me commettre en public pour servir cette cause-là. Je le fais avec un grand honneur », conclut-il.