Une caissière déjoue des arnaqueurs
MRC DE BÉCANCOUR. Sans la vigilance de la caissière de son village, une nonagénaire de la MRC de Bécancour serait maintenant privée de 3000$.
Ne souhaitant pas être identifiées, les deux dames, qu’on appellera ici Marlène et Ginette, ont raconté leur rocambolesque histoire dans le but de sensibiliser la population aux stratagèmes de fraude dont tout le monde peut être victime.
L’histoire
C’est jeudi. Le téléphone de Marlène sonne. Au bout du fil, elle croit reconnaître son petit-fils. Il se dit enrhumé, d’où son timbre de voix un peu différent. Il lui dit qu’il est au poste de police avec un ami, qui a «brûlé un feu rouge». Les policiers, témoins de l’infraction, ont par la suite trouvé de la drogue dans la valise de la voiture. Les deux hommes ont été arrêtés et sont maintenant détenus. Pour se sortir de là, le petit-fils doit verser une caution de 6400$.
«Je lui ai dit que je n’avais pas ça. Il m’a alors répondu qu’il allait téléphoner à un juge et qu’il me rappellerait. Lorsqu’il m’a rappelée, il m’a indiqué qu’un montant de 3000$ serait correct», raconte Marlène, qui souhaite à ce moment-là aider son petit-fils à se sortir de ce pétrin le plus rapidement possible.
Son interlocuteur lui demande alors si elle a encore son permis de conduire; une question à laquelle la dame répond par l’affirmative. «Allez à la caisse. Ensuite, je vous donnerai les instructions à suivre pour qu’on ait l’argent», lui mentionne le malfrat.
Marlène se rend donc à la caisse de son village. «Ça me coûtait de sortir de l’argent, mais il m’avait dit que dans la semaine à venir, il me rembourserait», précise-t-elle.
La caissière entre alors en scène. Ginette trouve suspect que madame Marlène veuille retirer 3000$: «Où allez-vous magasiner avec tout cet argent-là?», lui demande-t-elle pour tenter de lui tirer les vers du nez.
Marlène raconte alors l’histoire à Ginette, qui flaire l’arnaque et fait appel à une collègue pour l’accompagner dans la suite des choses. «En formation, on a vu des cas similaires», se rappelle-t-elle. Les deux employées invitent alors Marlène à téléphoner à son petit-fils pour valider son histoire. Ce dernier lui confirme qu’il est bien chez lui, et non au poste de police, qu’il n’a pas de rhume et n’a pas besoin d’argent.
«Je me suis trouvée un peu niaiseuse, laisse tomber Marlène. Quand je suis retournée à la maison, le téléphone a sonné deux fois et je n’ai pas répondu. Je n’ai pas reçu d’autres appels par la suite.»
Du déjà vu
Cette histoire n’est pas sans rappeler celle vécue par Simone Leblanc en 2016. Ses deux fils, Junior et Karl Grondin (l’attaché politique du député de Nicolet-Bécancour, Donald Martel), s’étaient mêlés du dossier et avaient permis l’arrestation des arnaqueurs, Alexandre Dubé et Sébastien David Perez Sauvé, en les piégeant. Les deux hommes faisaient partie d’un réseau apparemment orchestré par Steven Devantro, arrêté deux mois plus tard pour avoir fraudé ou tenté de frauder 70 personnes âgées en 2015 et 2016.
Vigilance et formation
Audrey Fradette, directrice Services aux membres et Soutien aux ventes à la caisse Desjardins Gentilly-Lévrard-Rivière du Chêne, souligne que des formations portant sur la fraude sont données à chaque année aux employés. De façon hebdomadaire, de l’information portant sur des arnaques de tous genres leur est aussi acheminée.
«À toutes les semaines, on nous rapporte des cas de fraudes ou arnaques. Pas juste des arnaques de grands-parents (comme le cas de Marlène): des arnaques amoureuses, des fraudes complaisantes, de l’hameçonnage, des faux chèques… Il y a tellement de types de fraudes! Et quand on pense avoir tout vu, de nouvelles arnaques arrivent», témoigne-t-elle, citant en exemple les arnaques liées aux paiements de la prestation canadienne d’urgence (PCU), qui se sont multipliées ces derniers mois.
«Les fraudes ont évolué», renchérit France Cormier, agente à l’accueil au siège social de la caisse Gentilly-Lévrard-Rivière du Chêne. «Ici, il n’y en avait pas tant que ça. Mais dans la dernière année, c’est autre chose.»
«C’est peut-être parce qu’on a tellement travaillé à les détecter que maintenant, on les voit davantage, suppose Mme Fradette. On est très vigilant. Si [Ginette] n’avait pas posé de questions, l’arnaque aurait fonctionné.»
Lorsqu’une tentative de fraude est décelée par un employé, il recommande fortement au membre de porter plainte: «La caisse ne peut pas porter plainte pour lui», rappelle par ailleurs Mme Fradette.
Autorités surchargées
Marlène a téléphoné à la Sûreté du Québec pour raconter son histoire. On l’a référée à un autre numéro, possiblement le Centre antifraude, dit-elle. «On m’a demandé de rappeler parce qu’ils étaient surchargés. Ils n’ont pas pris mes coordonnées.»
Elle est évidemment déçue de ne pas avoir pu livrer son témoignage. Par contre, elle n’entend pas entamer d’autres démarches: «Je veux oublier ça».
Elle est reconnaissante du soutien apporté par son institution financière et Ginette: «Une chance que c’était une bonne caissière!», sourit-elle.
Ginette, pour sa part, se désole que Marlène n’ait pu aller au bout de sa plainte. En revanche, elle se réjouit que la transaction ait avorté. Même son de cloche du côté de sa directrice, qui fait aussi remarquer que «malheureusement, ce n’est pas un cas isolé».
«On a eu la chance de pouvoir agir à temps [dans ce dossier], mais combien de personnes se font embarquer là-dedans et n’en parleront pas parce qu’ils traînent un sentiment de honte ou de gêne? Il y en a beaucoup.»
Du côté de la Sûreté du Québec, on ne peut pas commenter le cas de Marlène. On confirme toutefois que le stratagème est répandu partout au Québec et que beaucoup de sensibilisation est faite en matière de fraudes de tous genres.
D’ailleurs, il importe de faire la nuance entre une tentative de fraude et une fraude: «Dès qu’on n’acquiesce pas à la demande [de l’arnaqueur], on ne devient pas victime», fait remarquer Louis-Philippe Bibeau, un des porte-paroles de la Sûreté du Québec. Entre les lignes, on comprend donc qu’il est difficile, dans ce contexte, d’ouvrir un quelconque dossier. Le policier ajoute toutefois que le signalement demeure important pour aider à «détecter de nouveaux types de fraude dans un secteur donné».
Fraude
Pour éviter de tomber dans de tels pièges, la Sûreté du Québec fait ces quelques recommandations:
- N’offrez jamais d’information privilégiée à votre interlocuteur.
- Demandez-lui des détails et validez ces informations avec les parents ou d’autres membres de la famille.
- Assurez-vous de l’identité de votre interlocuteur en lui posant quelques questions personnelles auxquelles seuls vos vrais petits-enfants sauront répondre.
- Ne faites jamais un virement d’argent télégraphique, peu importe les circonstances.
- Ne fournissez jamais votre numéro de carte de crédit par téléphone ou sur Internet à moins d’être sûr du destinataire.
Si vous avez été victime d’une arnaque de ce genre, il est important d’appeler son service de police local.
Toute information sur des actes criminels ou des événements suspects peut être communiquée à la Centrale de l’information criminelle de la Sûreté du Québec, au 1 800 659-4264.