Détectives en temps de chasse

SAINTE-SOPHIE-DE-LÉVRARD. Ils sont les Sherlock Holmes de la forêt. Leur fidèle Watson est un chien. Ensemble, ils relèvent différents indices pour mener à bien leur mission: récupérer le gros gibier blessé.

Ces détectives spécialisés, on les appelle les «conducteurs de chiens de sang». Ils sont 145 au Québec, dont 12 dans la région administrative du Centre-du-Québec. Selon la carte interactive de leur association, l’Association des conducteurs de chien de sang du Québec (ACCSQ), un seul est actif dans Nicolet-Yamaska (à Saint-Wenceslas) et trois autres le sont dans la MRC de Bécancour (à Lemieux, Sainte-Sophie-de-Lévrard et Sainte-Françoise).

Karl Trottier est l’un de ces enquêteurs à l’œil de lynx. Accrédité par l’ACCSQ depuis trois ans, il possède deux teckels à poil dur et un bluetick qu’il entraîne minutieusement à son domicile de Sainte-Sophie-de-Lévrard. Dans le bois, il fait aussi équipe avec sa conjointe Valérie Martineau, formée par l’ACCSQ pour analyser les précieux indices laissés par le gibier recherché et détectés par le chien de sang.

«On a comme mission de retrouver la piste d’une bête qui a été perdue durant la chasse. Souvent, ça se passe de nuit, même si on en fait aussi de jour. On peut parcourir plusieurs kilomètres avant de retracer le gibier», raconte Mme Martineau.

«Notre travail, c’est de s’assurer qu’il n’y a pas de gibier qui se perd dans le bois et d’éviter le double abattage, ajoute M. Trottier. Les recherches peuvent être longues. Des fois, ça peut se faire sur deux jours. On les poursuit jusqu’à ce qu’on soit convaincu d’avoir mené notre enquête jusqu’au bout.»

Dans la forêt, le chien est toujours en laisse. Grâce à son flair et à son entraînement pointu, il guide son conducteur vers la bête blessée. «Le chien te parle à travers ses actions. Il faut être capable de déchiffrer son langage en fonction de ce qu’il fait», indique Karl Trottier.

Tout se passe à la vitesse grand V: «C’est une course dans le bois», résume Valérie Martineau.

Mandats

Le chasseur qui fait appel aux services d’un conducteur de chiens de sang souhaite retrouver la bête qu’il a atteinte, mais qui s’est sauvée. «C’est rare qu’on est appelé pour des proies faciles à retrouver, fait remarquer Valérie Martineau. Souvent, le chasseur a tenté de retrouver son gibier par lui-même. Ça brouille un peu les pistes pour le chien. Alors quand il nous appelle, on lui demande de « marquer son sang », de se retirer du bois et de nous attendre. Plus il cherche, plus ça nous nuit.»

«Comme chasseur, on a la responsabilité de tout faire pour retrouver la bête» – Valérie Martineau

Mais ce n’est pas tout de retrouver la bête. Le travail du conducteur, c’est aussi – et surtout – de déterminer si le tir qui a atteint le gibier est mortel ou non. «Pour cela, on analyse toutes sortes de choses: le positionnement du chasseur, le type d’arme utilisé, la distance du tir, la réaction du gibier, le genre de sang et d’indices qu’on trouve dans le bois…»

Comme la bête s’est enfuie après le tir, il est important de recueillir un maximum d’informations sur son état de santé potentiel. «Ça arrive qu’on ne la trouve pas», prévient Mme Martineau. Cela ne signifie toutefois pas que le chien et son équipe ont mal fait leur travail, au contraire: généralement, l’animal survivra et l’enquête le démontrera. «Dans ce cas, le chasseur repart chez lui l’esprit tranquille, sachant qu’il a raté son coup mais qu’au moins, la bête ne pourrira pas quelque part dans le bois.»

Le conducteur de chiens de sang Karl Trottier en compagnie de sa conjointe Valérie Martineau

Lorsque l’animal est retrouvé encore vivant et que le tir est jugé mortel (organe vital touché, par exemple), l’équipe de recherche se retire alors pour quelque temps. «On retournera aux recherches plus tard afin de le récupérer lorsqu’il sera mort», poursuit Mme Martineau, précisant au passage que les équipes de recherche n’ont pas le droit d’être armées lorsqu’elles suivent la trace d’un gibier.

Un service de plus en plus en demande

L’ACCSQ a été fondée en 2008. Un de ses mandats est de sensibiliser la population sur l’importance de faire appel aux conducteurs lorsque la piste d’une bête a été perdue durant la chasse. «Comme chasseur, on a la responsabilité de tout faire pour retrouver la bête», rappelle d’ailleurs Valérie Martineau.

Les conducteurs sont formés expressément pour cela, tout comme leur animal. Pour être accrédité, il y a tout un processus à traverser. En plus de devoir suivre un cours et réussir un test, le futur conducteur doit aussi se faire parrainer par un conducteur expérimenté, qui l’aidera à développer ses aptitudes et lui donnera des trucs de pro pour entraîner efficacement ses chiens.

Il est bon de noter que plusieurs races de chiens ont la capacité de jouer ce rôle. Outre les teckels à poil dur et le bluetick utilisés par Karl Trottier, il y a aussi les bergers allemands, les beagles, les braques allemands, les goldens retreiver, les labradors, les pointers anglais, les setters irlandais, les épagneuls et bien d’autres, si l’on se fie à la liste publiée sur le site de l’ACCSQ. «Tu sais si ton chien est fait pour ça au fur et à mesure que tu l’entraînes. Le chien doit être intéressé, sinon ça ne fonctionnera pas», précise Mme Martineau.

Le site de l’organisme n’affiche pas de statistiques concernant le nombre d’interventions réalisées par ses conducteurs accrédités dans les dernières années. Mais selon Karl Trottier, la demande est grandissante. «Les gens appellent plus d’une année à l’autre. C’est mieux connu et ils réalisent que ça fonctionne, que ça fait une différence», mentionne celui qui a une centaine de recherches à son actif depuis son accréditation.

Valérie Martineau ajoute que lorsqu’un conducteur n’est pas disponible pour répondre à un appel, il réfère le chasseur à un collègue. «On essaie de ne laisser personne dans le besoin.»

 

Les conducteurs de chiens de sang accrédités dans la région

  • Benoit Desmarais (Saint-Wenceslas)
  • Chantal Bellemare (Lemieux)
  • Karl Trottier (Sainte-Sophie-de-Lévrard)
  • Denis Marcoux (Sainte-Françoise)