Des poissons suivis à la trace
ODANAK. Une cinquantaine de bars rayés, de même qu’une cinquantaine de dorés jaunes et de dorés noirs, sont sous haute surveillance dans le fleuve Saint-Laurent. Ils cachent dans leur abdomen un émetteur qui permet à des scientifiques de recueillir de précieuses données.
Depuis bientôt trois ans, les bureaux Environnement et Terre d’Odanak et de Wôlinak tentent de documenter la présence du bar rayé dans le lac St-Pierre. « L’implant d’émetteurs est l’une des activités réalisées pour aider à localiser les sites de reproduction », fait savoir Samuel Dufour, directeur du bureau Environnement et Terre d’Odanak.
« Autrefois, il y avait une grosse population de bars rayés dans le fleuve St-Laurent. Elle s’est éteinte en raison de la surpêche et de la destruction d’habitats dans les années 1960, explique-t-il. Or, depuis le début des années 2000, l’espèce a été réintroduite graduellement (sous la supervision du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs – MFFP). »
« Ils sont allés capturer des individus matures et des géniteurs dans une autre population dans la rivière Miramichi, au Nouveau-Brunswick, et les ont amenés dans une station piscicole où ils les ont fait se reproduire. Ensuite, ils ont pris les larves, les œufs et les juvéniles issus de la reproduction et ils les ont relâchés dans le St-Laurent à chaque année, de 2002 à 2018, de mémoire. Ce sont ces individus qui ont repeuplé le St-Laurent », raconte M. Dufour.
Grâce aux efforts de télémétrie du ministère, des frayères ont été découvertes dans le coin de Québec et de Montmagny il y a environ cinq ans. Puis, les scientifiques associés au dossier se sont rendu compte que des individus se rendaient de plus en plus fréquemment dans le lac St-Pierre. C’est à ce moment que la nation abénakise, une grande utilisatrice du lac, s’est intéressée plus en profondeur au projet et qu’elle a levé la main pour documenter le grand retour du bar rayé dans le lac St-Pierre.
« On veut voir où sont les sites de reproduction potentiels, quels sont les habitats utilisés, connaître leurs déplacements, etc. On a monté un gros partenariat avec le MFFP », poursuit M. Dufour.
Ainsi, depuis 2019, une cinquantaine d’émetteurs ont été placés à l’intérieur de bars rayés. « C’est une chirurgie qui se fait très rapidement. Les poissons sont maintenus sous anesthésie durant l’opération. On implante l’émetteur dans leur cavité abdominale, puis on recoud. On monitore le poisson avant et après la chirurgie [pour s’assurer qu’il est en bonne santé]. Quand on le remet à l’eau, il est en pleine forme », décrit le directeur du bureau Environnement et Terre d’Odanak.
L’émetteur implanté produit une pulsation (un signal sonore) une fois par minute et demie. Cela permet de suivre facilement sa trace. Il faut savoir qu’un imposant réseau de balises télémétriques quadrille tout le fleuve, y compris le lac St-Pierre, alors dès que le poisson passe à proximité d’un récepteur, il se fait détecter.
Les dorés jaunes et les dorés noirs
Travaillant main dans la main avec le MFFP, les bureaux Environnement et Terre d’Odanak et de Wôlinak ont assisté leur partenaire dans un projet similaire à l’automne 2021. Le ministère a en effet procédé à l’implant d’émetteurs dans l’abdomen de dorés jaunes et de dorés noirs dans le cadre d’un projet de suivi par télémétrie des déplacements des dorés.
« On a contribué aux captures. On était déjà sur le terrain pour notre projet de bar rayé, alors quand on attrapait des dorés, on leur fournissait », explique M. Dufour.
D’ailleurs, pour assurer le succès du projet, le ministère a invité les pêcheurs à être vigilants en cette période de réouverture de la pêche récréative au doré: « Si vous capturez un doré jaune ou un doré noir présentant des points de suture apparents ou une cicatrice sur l’abdomen, remettez-le à l’eau dans les meilleurs délais. Si vous trouvez un émetteur dans un poisson que vous avez éviscéré, veuillez écrire à faune.aquatique@mffp.gouv.qc.ca. Nous pourrons ainsi récupérer l’émetteur ainsi que de précieuses informations ».
La pêche au bar rayé est quant à elle interdite. « Actuellement, ce poisson est encore classé comme une espèce disparue, partage Samuel Dufour. Mais comme elle revient, et qu’elle revient assez rapidement, il aura éventuellement un changement de statut pour redevenir une espèce présente. À ce moment-là, ce sera encadré de façon différente. »
La communauté abénakise pourra alors se targuer d’avoir joué un rôle majeur dans ce dossier puisque les changements à venir reposeront en bonne partie sur ses travaux scientifiques…