Contrer la pandémie par l’école à la maison
DESCHAILLONS. L’éducation à domicile, communément appelée «école à la maison», est encore considérée comme une pratique marginale. Néanmoins, la rentrée scolaire 2020-2021 a vu le nombre d’inscriptions à la Direction de l’enseignement à la maison (DEM) du ministère de l’Éducation bondir de 40 %, soit le double de l’année précédente (hausse de 20 %).
Cette année, ce sont ainsi près de 8500 enfants qui feront l’école à la maison, qu’on ne doit pas confondre avec l’école à distance qui nécessite d’être officiellement inscrit dans une école. «Le réseau scolaire compte plus de 1,3 million d’élèves. Même avec cette augmentation, on parle ainsi de moins de 1% de parents qui font ce choix pour leurs enfants», tient à rappeler Bryan St-Louis, responsable des relations de presse du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport.
Johannie Riendeau, représentante régionale pour l’Association québécoise pour l’éducation à domicile (AQED), a bien perçu ce nouvel engouement des parents en ce temps de pandémie, car un plus grand nombre d’entre eux sont réticents à envoyer leurs enfants dans un établissement scolaire à cause des mesures sanitaires. Le rôle de Mme Riendeau est entre autres d’aiguiller les parents sur l’aspect légal et pédagogique de l’éducation à domicile, et d’en briser les mythes.
Bien que la COVID-19 ait été le déclic pour certaines familles qui songeaient déjà à l’école à la maison, ce choix n’est pas récent pour d’autres, comme Stéphanie Meloche et Johannie Riendeau, toutes deux mères de quatre enfants et respectivement établies à Manseau et Deschaillons-sur-Saint-Laurent.
Liberté et flexibilité
Le tout premier critère qui semble avoir convaincu Stéphanie Meloche et Johannie Riendeau d’opter pour l’éducation à domicile, c’est la grande liberté que cela confère à leur famille, que ce soit sur l’horaire ou sur les outils pédagogiques.
«On ne fait pas l’école de 8h à 15h, ce n’est pas comme ça que l’on fonctionne. Normalement, on fait de 9h à 11h, trois ou quatre fois par semaine. On est loin d’un horaire traditionnel!», témoigne Mme Riendeau. Également, la «rentrée scolaire» n’a pas encore eu lieu chez la famille de Deschaillons. Habituellement, elle ouvre les livres à partir de la fin du mois de septembre, question de profiter encore des belles journées à l’extérieur pour des apprentissages moins formels, comme la cueillette de fleurs sauvages et de champignons, ou encore pour pratiquer la randonnée.
«Le facteur voyage entrait également en compte. On voyage beaucoup en voilier, et on a l’intention de partir un an», raconte la représentante régionale de l’AQED. Avec papa qui travaille à la maison et maman qui fait l’école à domicile, la famille s’assure ainsi d’enlever tout ce qui pourrait se mettre dans le chemin de leur rêve.
Chez Stéphanie Meloche, le garçon le plus âgé vit avec le trouble du déficit de l’attention (TDA). «C’est clair qu’à l’école, on serait embarqué dans l’engrenage de la médication et des services, et je trouve ça horrible qu’à l’école, l’enfant soit mis de côté et stigmatisé tout de suite comme étant un enfant à difficulté. À la maison, on a pu lui donner tout le temps dont il avait besoin et lui offrir les activités qui lui permettent de se concentrer, comme l’art et la poterie», raconte Mme Meloche.
Cette liberté se reflète aussi dans une flexibilité pédagogique qui permet à l’enfant de s’épanouir dans les domaines qui les intéressent le plus. La mère de Manseau donne l’exemple de sa fille de 9 ans qui est désormais complètement bilingue, autant à l’oral qu’à l’écrit, grâce à sa passion du codage informatique et de la programmation d’ordinateur.
«Quand ils suivent leurs passions et qu’on leur donne les outils, ils vont apprendre par eux-mêmes, lance Stéphanie Meloche. Ce n’est pas l’anarchie totale! Il y a une liberté, mais c’est une liberté qui est accompagnée», ajoute-t-elle.
À la maison, mais pas isolé
Johannie Riendeau brise le mythe des enfants scolarisés à la maison qui ne sont pas sociables. «Le multi-âge, c’est vraiment important. On parle de la fameuse socialisation et pour moi, ça ne fait pas de sens qu’un enfant de huit ans fréquente juste des enfants de 8 ans, dit-elle. Pour avoir croisé dans les six dernières années d’autres familles qui font l’école à la maison, je trouve que ça fait des jeunes qui sont autant capables d’avoir une belle discussion avec un adulte que de se mettre au niveau d’un tout petit. Ils sont capables d’un éventail social vraiment grand».
Ce que Stéphanie Meloche a également pu constater, autant dans sa famille que dans les autres qu’elle fréquente, c’est le lien particulier qu’elle a tissé avec ses enfants. «On a un lien vraiment incroyable, tout comme eux, entre frères et sœurs. Il n’y a pas la séparation par âge comme à l’école qui fait en sorte que souvent, le petit frère est moins « cool ». Ici, ce n’est pas ça du tout, ils s’entraident. Les liens sont forts dans la fratrie», affirme Mme Meloche.
Il ne faut cependant pas croire que ces familles sont complètement laissées à elles-mêmes. Le suivi des apprentissages se fait depuis 2019 par le ministère de l’Éducation, auparavant pris en charge par les commissions scolaires. Stéphanie Meloche, qui rédige un blogue sur ce sujet depuis plusieurs années, a créé un outil afin d’aider les familles à remplir leurs obligations légales et à traduire les apprentissages du quotidien en langage scolaire. On peut lire l’expérience de Mme Meloche sur le site Plume de sorcière, au https://www.stephaniemeloche.com.
Unschooling
Plusieurs méthodes sont utilisées pour éduquer les enfants à domicile. «Il y a la méthode classique avec des leçons, des cahiers, des évaluations, et moi je suis à l’autre extrême», mentionne Stéphanie Meloche qui pratique le « unschooling ».
Il y a toute une variation entre les deux. «Ce qu’on utilise, c’est l’intérêt de l’enfant. Au lieu d’imposer un curriculum à l’enfant, on le laisse vivre sa vie par ses intérêts et ses passions et nous, on l’accompagne et on bonifie».
«J’ai définitivement fermé les cahiers chez nous il y a plus de neuf ans maintenant. Je me considère pas mal déscolarisée, écrit Mme Meloche dans son blogue. Les apprentissages dans des contextes artificiels (qu’ils soient ludiques et colorés n’y change rien) imposés à l’enfant pour aucune autre raison que de rassurer le parent est au mieux inefficace… Et au pire dommageable!»