À 200 mètres du bonheur

DESCHAILLONS. Depuis plusieurs mois déjà, Yvan Deveault et Claude Beaudet ont l’impression d’être au cœur de «la maison qui rend fou» des Douze Travaux d’Astérix. À la différence d’Astérix et Obélix, ils ne tentent pas d’obtenir le fameux laissez-passer A-38, mais plutôt les 200 mètres de filage qui permettront aux chalets des côtes 9 et 10, à Deschaillons, d’être desservis par la fibre optique.

«Il y a de plus en plus d’intermédiaires dans ce dossier, et chacun nous dit qu’il va régler ça dans pas long! Je ne sais plus combien de courriels on a envoyés, ni combien d’appels on a faits, désespère Yvan Deveault. Ils ont fait le déploiement en 2017. Tout le village est desservi, sauf nous, parce que l’installation n’est pas complétée.»

«Ils sont venus faire les torons en bas, ils ont passé la fibre, installé les points de raccordement… mais ils n’ont pas raccordé, explique Claude Beaudet. Il reste à relier le centre [boîte de jonction] et à raccorder le poteau de la Côte 9 avec celui d’en haut [où la fibre optique est fonctionnelle].»

C’est ce dernier raccordement qui permettra d’amener Internet haute vitesse et tous les avantages de la fibre optique dans le secteur, situé en bordure du fleuve St-Laurent.

Le problème, c’est le poteau de la Côte 9. Il faut lui installer un ancrage supplémentaire. Pour ce faire, il faut l’autorisation du ou des propriétaires du terrain où il est situé. Or, on ignore encore qui doit accorder la servitude. L’arpentage du secteur discorde avec d’autres données.

Ce poteau est le seul de la municipalité de Deschaillons qui reste à raccorder au réseau de fibre optique de la MRC de Bécancour. Il est problématique en raison d’un ancrage manquant, ce qui empêche la vingtaine de chalets situés au bas des côtes 9 et 10 de bénéficier des avantages venant avec l’implantation du réseau, soit l’Internet haute vitesse, la télévision HD et la téléphonie.

«Un premier arpentage a déterminé que l’assiette de l’ancrage appartenait au chemin de la Côte 9. Ce sont tous les propriétaires des chalets qui détiennent le fond de terrain de la côte, alors ça prend l’autorisation de chacun [pour aller de l’avant]. Ils ont donné leur accord, mais ce n’est pas encore notarié [une étape essentielle]. Entre-temps, la réforme cadastrale de Deschaillons a commencé. C’est une autre firme qui procède à l’arpentage et elle n’arrive pas aux mêmes conclusions que la première firme. Il paraît que l’endroit où devrait être l’ancrage serait plutôt situé sur le terrain de Mme Poulin.»

«C’est problématique», confirme Daniel Béliveau, le directeur général de la MRC de Bécancour, qui pilote le déploiement de la fibre optique sur son territoire. «Le poteau est dans une zone où l’Environnement devait se positionner et là, c’est la cadastre [qui cause des délais]. C’est hors de notre contrôle.»

Le printemps dernier, la MRC a tenté d’obtenir une dérogation de Bell Canada, propriétaire du fameux poteau, pour pouvoir procéder quand même à l’installation des 200 mètres de fils manquants, mais sans succès. «Le tout reste encore bloqué par Bell malgré les nombreuses interventions que nous avons faites. Bell insiste pour faire l’installation de la tige qui exige une servitude», écrivait, dans un courriel adressé à M. Deveault, le responsable de l’informatique de la MRC, Yves Guillemette, 16 mai 2019. La situation persiste quatre mois et demi plus tard.

Des devoirs mal faits?

Yvan Deveault et Michel Beaudet sont d’avis que ce défi d’arpentage n’en aurait même pas été un si une planification adéquate du projet avait été faite dès le départ par la MRC de Bécancour.

«La première fois que la MRC est venue nous voir, on nous a dit que les fils seraient enfouis sous terre, via la Côte 10. Or, c’était impossible de procéder comme ça en raison de l’enrochement et parce que les fils passeraient au-dessus de la conduite d’eau», mentionne M. Beaudet.

Un passage aérien a alors été envisagé. Mais on connaît la suite… et les embûches qui viennent avec! «S’ils avaient fait le travail préparatoire correctement, ça serait terminé il y a longtemps», fait valoir M. Deveault.

Payer pour rien

Depuis 2018, les propriétaires des chalets des côtes 9 et 10 payent, au même titre que tous les autres propriétaires inclus dans le projet de fibre optique, une quote-part de 0,027$ du 100$ d’évaluation, à même le taux de taxe foncière.

«Ce n’est pas grand-chose, soulève Yvan Deveault, mais c’est le principe de payer pour un service qu’on n’est pas capable d’avoir que je trouve regrettable.»

«Au service à la clientèle de Sogetel, on nous dit clairement qu’on peut avoir le service Internet car la fibre optique est déployée à Deschaillons. Nous, on sait très bien que c’est faux», mentionne Claude Beaudet, qui déplore le fait que le fournisseur de services ne soit même pas au courant des problématiques de certains secteurs.

«Sogetel donne de l’information erronée à des clients potentiels, regrette pour sa part M. Deveault. Ce n’est pas vrai que tout est raccordé dans les petites municipalités.»

Claude Beaudet a d’ailleurs fait venir à deux ou trois reprises des techniciens à son chalet pour qu’on lui installe le service, «vu qu’il est censé être disponible». À leur arrivée, c’est la confusion. Ils constatent qu’il n’y a pas de signal. «Ça fait un an et demi que le secteur est ouvert ici!», s’étonnait d’ailleurs un technicien croisé sur place, au moment de l’entrevue. «Ça montre que ça ne marche pas, leur affaire!», clament MM. Deveault et Beaudet.

Un an et demi après le déploiement de la fibre optique à Deschaillons, les propriétaires des chalets situés au bas des côtes 9 et 10 ne sont toujours pas raccordés au réseau.

Le technicien en question évaluait que pour régler le problème, une journée de travail serait nécessaire pour passer le filage manquant, et deux ou trois autres pour finaliser les connexions, dans le pire des cas. «Honnêtement, ce n’est pas long!», commentait-il.

C’est justement parce qu’ils sont bien au fait de cela qu’Yvan Deveault et Claude Beaudet en ont assez d’attendre, eux qui ont travaillé avec du filage toute leur vie (respectivement comme technicien électrique pour la garde côtière et comme chargé de projets spéciaux en télécommunication chez Hydro-Québec). «Un moment donné, il faut que ça arrête. Il faut que des pressions se fassent. C’est pour ça qu’on relève la situation», termine Yvan Deveault qui, cela dit, approuve à 100% le projet de déploiement de la fibre optique dans la région.

De son côté, le directeur général de la MRC a fait savoir au Courrier Sud qu’il aurait «d’excellentes nouvelles très bientôt» pour ce secteur: «On devrait être en mesure d’offrir un service Internet haute vitesse adéquat sous peu.»

À ce chapitre, on apprenait mardi matin qu’une installation temporaire permettant d’amener la fibre optique dans le secteur en cause avait été faite dans la journée de lundi. «Les techniciens qui sont venus ont mentionné que c’était une installation temporaire pour donner le service. [Le raccordement final] sera fait plus tard, quand Sogetel et la MRC auront toutes les autorisations de Bell», nous a indiqué Yvan Deveault.