Une saison plus que difficile pour les apiculteurs de la province

CENTRE-DU-QUÉBEC.  C’est une saison qui frôle la catastrophe pour l’ensemble des producteurs apicoles de la province. Selon les données préliminaires du Centre de recherche en sciences animales de Deschambault (CRSAD), ce sont plus de 50% des colonies qui ne sont plus viables ou qui sont tout simplement mortes. Le Centre-du-Québec n’échappe malheureusement pas à la tendance.

Nicolas Tremblay est agronome et conseiller apicole provincial au CRSAD. Il accompagne plusieurs apiculteurs de la région du Centre-du-Québec.  » On n’a pas encore de données exactes, parce que même si les ruches sont sorties de l’hivernation, la météo n’a pas encore été propice à faire l’inventaire « , explique M. Tremblay. Il est également possible que des ruches ne survivent pas au printemps. Une enquête du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) est en cours et des données plus précises paraitront éventuellement.

Alors que certains producteurs apicoles ont perdu de 25 à 30% de leurs colonies, comme c’est le cas pour le Marché apicole de Saint-Sylvère, d’autres ont perdu jusqu’à 80% de leurs abeilles, comme chez les Produits de l’Alvéole de Sainte-Monique.

 » 25 à 30% de pertes, c’est quand même plus élevé que ce qu’on voit habituellement « , précise Nicolas Tremblay.  » On se console quand on se compare! « , lance Sarah Martineau, copropriétaire de l’entreprise de Saint-Sylvère. En temps normal, l’entreprise essuie des pertes de l’ordre de 9%, ce qui se situe sous la moyenne provinciale.

Pour Sarah Martineau, ces chiffres représentent la perte d’environ 500 colonies sur les 1700 qui sont entrées en hivernation en 2021.

Du côté des Produits de l’alvéole, Denis Leblanc, propriétaire, explique que son entreprise subira les contrecoups de cette hausse de la mortalité des abeilles. En plus de voir sa production annuelle de miel chuter drastiquement, M. Leblanc estime que cela prendra au moins deux ans avant que ses colonies se refassent entièrement.

 » On peut tripler ou quadrupler les ruches, mais avec une ruche, on ne peut pas en faire 20. Il faut laisser le temps aux abeilles de se multiplier. On va les diviser en microcolonies et mettre des reines partout dans les microcolonies. Chacune de ces colonies va grossir durant tout l’été et à l’automne, elles seront devenues de belles grosses colonies qu’on va faire hiverner en souhaitant qu’elles passent bien l’hiver « , explique l’entrepreneur de Sainte-Monique.

Mortalité de masse chez les abeilles : la varroase en cause?

Nicolas Tremblay explique que ce taux de mortalité hors norme de plus de 50% (il était de l’ordre de 21% pour la saison apicole 2020-2021, selon les données de l’enquête annuelle sur la mortalité hivernale des colonies d’abeilles au Québec du MAPAQ) serait en grande partie attribuable aux conditions météorologiques du printemps 2021 favorables à la prolifération du varroa, un acarien qui parasite les couvains d’abeilles.

 » Plus la ruche se développe tôt et qu’elle est forte, plus on a des risques d’avoir, par la suite, des parasites. Le printemps chaud et hâtif qu’on a eu l’an passé a favorisé le développement du couvain, donc, par le fait même, des parasites « , explique le conseiller apicole.

Selon les données du MAPAQ, au Québec, plus d’un apiculteur sur quatre ne pratique pas de dépistage du varroa dans ses colonies.  » Pourtant, le dépistage est un élément fondamental de la lutte intégrée contre la varroase. Lorsqu’il est effectué, il se fait principalement à l’aide de cartons collants placés sur le plancher de la ruche et, dans une moindre mesure, selon la technique du lavage à l’alcool. Certains apiculteurs utilisent une combinaison de ces deux méthodes ou une combinaison avec une autre méthode « , peut-on lire sur le site web du ministère.

Toutefois, Sarah Martineau et Denis Leblanc confirment qu’ils traitent chaque année pour la varroase.  » On fait aussi des dépistages avec notre conseiller apicole et, au printemps dernier, rien dans les dépistages ne justifiait une invasion significative qui demandait des actions immédiates. Les abeilles, visuellement, ne présentaient pas de signe de maladie. Cependant, le varroa, on ne le voit pas nécessairement si une colonie en est affectée « , témoigne Mme Martineau.

 » Le varroa est fort probablement la cause principale, mais on ne peut jamais dire que c’est seulement ça, c’est multifactoriel. Il y a l’environnement, la sécheresse de l’an passé et la gelée aux bleuets qui ne nous a pas aidés dans nos colonies. Ça n’a pas été une année facile. Habituellement, on fait quand même une belle récolte à l’automne, mais en 2021, on n’a pratiquement rien fait « , ajoute l’apicultrice.

Du côté de l’entreprise de Denis Leblanc, le constat était clair dès la saison 2021 : les dommages étaient déjà bien présents dans les ruches.  » On a juste limité les dégâts qui avaient commencé à être faits afin de ne pas avoir 100% de pertes. En fait, on peut dire qu’on a sauvé 20% de nos abeilles « , nuance M. Leblanc.

Quels impacts sont à prévoir?

Bien qu’on pourrait prévoir une hausse du prix du miel, Nicolas Tremblay rappelle que ces prix sont fixés à l’international, ce qui devrait limiter la hausse.  » La plus grosse problématique est liée à la pollinisation. Habituellement, on a 35 000 à 40 000 ruches qui vont aux bleuets au Lac-Saint-Jean, à la fin mai ou au début de juin, mais c’est facilement la moitié de ces ruches qui ne seront pas présentes. C’est un gros manque à gagner pour les producteurs de bleuets, entre autres « , explique-t-il.

 » La production de bleuets est attribuable à 90% à la présence d’abeilles qui pollinisent. Donc sans abeilles, il n’y a pas de bleuets, ou très peu, ajoute M Tremblay. Les producteurs pourront avoir accès à d’autres pollinisateurs, je pense entre autres aux bourdons, on peut louer des cagettes de bourdons, mais la disponibilité est limitée. « 

 » Je ne pense pas que ça ait non plus un impact sur l’environnement. Les gens ont souvent tendance à mettre tous les pollinisateurs ensemble, dont les abeilles sauvages. C’est certain qu’il y a un travail de pollinisation qui est fait par les abeilles en général, mais je ne crois pas que ça aura un impact direct sur la biodiversité, du moins pas à court terme « , conclut M. Tremblay.