Le lymphoedème: un dommage collatéral qui pèse lourd

BÉCANCOUR. La Bécancouroise Jennifer Giles a été guérie d’un cancer du sein, il y a environ six ans. La tumeur a été retirée avec succès, mais non sans dommage collatéral. Sa chaîne de ganglions sous le bras gauche a été amputée à 97 % (29 ganglions sur 30), entraînant une enflure chronique à son bras appelée le lymphoedème. Depuis, cela fait partie de son quotidien.

Cette enflure est générée par une accumulation de liquide lymphatique. Ce liquide est habituellement filtré par les ganglions avant d’être remis en circulation dans le corps. « En l’absence de ganglions, un embouteillage se crée et le membre enfle », illustre Mme Giles. « C’est ce qui m’est arrivé au bras gauche, après l’opération. »

Il est possible de contrôler l’enflure par le biais de ce qu’on appelle un « drainage lymphatique ». Dans la grande région Mauricie – Centre-du-Québec, seulement cinq thérapeutes sont reconnues par l’Association québécoise du lymphoedème. Elles sont basées à Trois-Rivières (3), Victoriaville (1) et Drummondville (1).

Les traitements se font au privé. « C’est 80,50 $ la fois, environ, affirme -Jennifer -Giles. On en a besoin au minimum une fois par mois quand ça va bien et que [l’enflure] est maintenue. Idéalement, il faudrait faire un traitement aigu deux fois par année, c’est-à-dire un drainage [lymphatique] deux ou trois fois par semaine pendant deux ou trois semaines. Mais la grande majorité des gens ne le font pas, parce que ça coûte très cher. »

Avec le drainage, la thérapeute amène la lymphe à circuler. « Elle nous fait ensuite des bandages thérapeutiques multicouches. Ça permet de ramener le membre affecté à son plus petit niveau. » Une fois l’enflure réduite, la personne atteinte de lymphoedème se fait faire un manchon ou un bas de compression qui l’aidera à stabiliser son membre.

Ce manchon ou bas doit être porté en tout temps. Il fait une pression en continu sur le membre affecté pour forcer la lymphe à pénétrer dans la circulation. Depuis 2018, la -Régie de l’-assurance-maladie défraie 75 % du coût d’achat de trois accessoires du genre par année. Cela fait suite à la bonification du Programme relatif aux bandages et aux vêtements de compression nécessaires au traitement du lymphœdème, obtenue après le dépôt d’une pétition initiée par l’Association québécoise du lymphoedème. Selon Mme Giles, cette bonification constitue une belle victoire, mais dans la réalité du quotidien, c’est insuffisant.

«En vrai, moi, il faut que je les change aux trois mois (les manchons). Et si je suis active le moindrement, il m’en faudrait au moins un autre de rechange au cas où je le mouille ou le salisse», explique-t-elle.

C’est un facteur qui l’a amenée à revoir son plan de carrière, elle qui était autrefois infirmière aux soins à domicile. « J’ai choisi de travailler chez -Info-Santé parce que je ne peux pas faire de contact avec le client ; je ne peux pas laver ma main comme je le veux (en raison du port du manchon). »

Un fardeau quotidien

D’autres inconvénients et irritants accompagnent la présence d’un lymphoedème. Pour Jennifer Giles, cela se traduit par du poids supplémentaire sur les épaules, dans le cou et dans le dos étant donné que la circonférence de son bras peut parfois faire sept pouces de plus que l’autre. « C’est difficile de m’habiller. Ça débalance. Avant, je faisais du kayak. Maintenant, j’ai de la misère à embarquer ou à débarquer. Mon bras n’est plus fort ; je ne suis plus capable de me tenir. J’ai une écurie. J’ai grandi en faisant du cheval. C’est rendu difficile. Déneiger ma voiture aussi. L’impact est quand même grand », dit-elle, expliquant du même souffle que son bras « picotte continuellement, comme s’il était tout le temps engourdi ».

Problématique chronique méconnue

Le lymphoedème est une problématique chronique. « Si on ne s’en occupe pas, ça peut grossir [à outrance]. J’ai vu des dames âgées décéder avec de gros, gros bras. Ce n’est pas drôle du tout… »

Malheureusement, le lymphoedème demeure méconnu même s’il ne constitue pas une nouvelle problématique de santé, croit Mme Giles. « -Il y a très peu de formation qui se donne par rapport à ça. Quand j’ai fait mon cours de soin, on nous disait que la pire affaire qui pouvait arriver quand tu te faisais opérer pour un cancer du sein, à part le retour de ce cancer, c’était le lymphoedème. La formation s’arrêtait là », exprime-t-elle, déplorant que la formation semble à peine plus poussée du côté de la médecine générale. « Mes médecins en région sont bons, mais ils ne savent pas quoi faire avec le lymphoedème ».

Traitement choc

Désireuse d’améliorer sa qualité de vie, la résidente de -Sainte-Gertrude s’est armée de détermination et a entrepris des démarches par -elle-même pour être suivie par deux spécialistes : Dre Anna Towers et Dre Marie-Pascale Tremblay-Champagne.

Dre Towers est considérée comme la référence au Québec en matière de lymphoedème. De son côté, Dre Tremblay-Champagne est une chirurgienne plastique et esthétique de renom spécialisée en chirurgie reconstructrice du sein, chirurgie microvasculaire post-oncologique et chirurgie du lymphoedème. Le 26 octobre dernier, elle a pratiqué une intervention peu commune au bras de Mme Giles. Dans le jargon médical, il s’agit d’une « anastomose lymphoveineuse ». En gros, l’opération permet de faire dériver la lymphe vers la circulation sanguine à l’aide de ponts.

« Elle m’a fait quatre pontages. Depuis, ma main enfle moins souvent qu’avant et mon poignet aussi », se réjouit Mme Giles, qui est maintenant suivie aux trois mois par les deux spécialistes. Elle mentionne d’ailleurs que d’autres pontages du genre pourraient être nécessaires pour améliorer davantage sa condition. « Dre Tremblay-Champagne pourrait aussi me greffer des ganglions sous l’aisselle gauche, mais on n’est pas rendu là. C’est une pratique qu’elle peut faire. »

Cheval de bataille

Jennifer Giles s’estime chanceuse de bénéficier de ces soins. En revanche, elle se désole que la plupart des personnes atteintes aient du mal à se faire soigner convenablement « parce que les thérapeutes sont rares » (drainages lymphatiques) et « parce que ça devient trop onéreux » : « Moi, tout passe là-dessus », admet-elle.

Elle souhaite aider les gens de la région qui vivent le même problème de santé à accéder à ces soins. Elle compte d’ailleurs rencontrer prochainement le député Donald Martel pour le sensibiliser à la cause et lui placer cette demande : « Je veux que le lymphoedème soit reconnu [comme maladie] et qu’on ait accès à des traitements de base au moins une fois par mois, ainsi qu’à au moins un traitement intensif par année payés par le gouvernement ».

Elle ajoute que les patients de la région doivent ajouter à la facture des frais de déplacements considérables étant donné que les spécialistes se trouvent à Trois-Rivières, Victoriaville et Drummondville. « J’ai essayé de leur trouver des locaux dans la région, mais il faut comprendre qu’il n’y a aucun avantage pour elles de se déplacer pour offrir le service. »

Bref, Jennifer Giles croit qu’il est plus pertinent que jamais de mener ce combat étant donné que de plus en plus de femmes sont sauvées d’un cancer du sein. « C’est une bonne nouvelle qu’on sauve des vies, mais il faut ouvrir les yeux sur les séquelles possibles, dont le lymphoedème. Ces séquelles arriveront de plus en plus souvent parce que, justement, on sauve de plus en plus de gens. »